La Grèce n’est plus sous perfusion
La Grèce est sortie des programmes d’aide européens. Mais les conséquences de huit années d’austérité sont rudes
«Vous croyez vraiment que c’est un nouveau jour pour la Grèce?» interroge, ironique, Lia Papaioanou. Serveuse dans un café à Nauplie, une station balnéaire du Péloponnèse, elle sait que ce 20 août marque officiellement «une rupture pour le pays»: la Grèce est «sortie des mémorandums», les accords de prêts signés pour éviter le défaut de paiement en échange de l’application de réformes structurelles (baisses des dépenses publiques, coupes des retraites et des salaires, hausses des taxes, privatisations…). Depuis huit ans, les hommes de la troïka, représentant les créanciers d’Athènes que sont l’Union européenne, la Banque centrale européenne (BCE) et le Fonds monétaire international (FMI), débarquaient en terre hellène pour s’assurer de la bonne mise en pratique des mesures qu’ils avaient eux-mêmes édictées. Pour Lia, «le résultat est une catastrophe». A 24 ans, elle a vécu un tiers de sa vie sous cette tutelle, dans un pays en crise. Pourtant «avant, il y avait de l’espoir», veut croire cette travailleuse saisonnière. Un touriste la hèle. «Un Hollandais; il a acheté une maison là-bas», déclare-t-elle en désignant un ensemble de maisons modernes aux larges baies vitrées donnant sur le golfe.
Au prix lourd
En Grèce, le tourisme est reparti: 32 millions de visiteurs sont attendus cette année contre 18 millions en 2011. Les exportations ont bondi. Le pays est sorti de huit années de récession. Au premier trimestre 2018, la croissance a même été de 2,3%. Enfin, le déficit public ne s’élevait qu’à 0,8% du produit intérieur brut (PIB) en 2017 alors qu’il était de 15,4% en 2010 lorsque le social-démocrate Giorgos Papandreou a signé le premier mémorandum. Autant de chiffres qui font dire à l’entourage du premier ministre Alexis Tsipras qu’«un nouvel horizon se profile pour la société».
Mais à quel prix? Le PIB du pays a chuté d’un quart. Encore quelques chiffres: entre 2010 et 2015, la moitié des 900000 entreprises de moins de 10 salariés que comptait le pays ont mis la clé sous la porte. Le chômage était à 9,5% en 2009 et il a caracolé à près de 28% en 2013 quand le conservateur Antonis Samaras a accepté le deuxième mémorandum. Certes, le taux vient de passer sous la barre des 20% mais les chômeurs ne sont maintenus hors de la pauvreté que par un fil: une indemnité chômage qui en Grèce ne s’élève qu’à 360 euros, et à 504 euros pour une famille de quatre personnes. Cette indemnisation est versée pendant un an maximum après la perte du travail. Du coup, seuls 8% des demandeurs d’emploi sont indemnisés. Les autres ne doivent leur survie qu’à leur famille, au système D ou à la vente d’un bien immobilier.
Virginia, agent immobilier à Athènes, le confirme: «Les Grecs bradent leurs biens, appartements et maisons… Et les étrangers les achètent à bon prix.» Pour elle, «ceux qui vendent ne le font pas de gaieté de coeur. Leurs revenus ont chuté, ils ne peuvent plus payer les impôts ni l’entretien de leur maison».
Les revenus ont en effet considérablement chuté depuis huit ans. Les rémunérations ont diminué de 35% en moyenne. Le salaire minimum grec, de 750 euros en 2010, a fondu à 586 euros, et même à 510 euros pour les moins de 25 ans. La plupart des emplois créés, à temps partiel ou à durée déterminée, ne permettent pas de sortir de la précarité ou de la pauvreté. Aujourd’hui, un tiers des 1,7 million d’employés travaillent à temps partiel, pour 394 euros net par mois, soit à peine plus que le seuil de pauvreté national (380 euros).
Enorme exode
Du coup, de nombreux jeunes de plus de 25 ans vivent toujours chez leurs parents. D’autres ont choisi l’exode. Depuis 2010, le nombre de Grecs ayant quitté le pays pourrait avoisiner les 500 000, sur 10,8 millions d’habitants. Savas Robolis, professeur d’économie à l’Université Panteion d’Athènes, est inquiet: «Le pays ne retrouvera son niveau d’emploi de 2009 que dans vingt ans si d’ici là le taux de croissance est en moyenne de 1,5% par année.» Et selon ses projections, «il faudrait même un taux de croissance de 3,5% par an pour que le pays puisse vraiment renouer avec le développement et augmenter les revenus en… 2060».
Ces indicateurs sont aussi une source d’inquiétude pour le gouvernement grec malgré la satisfaction affichée. Lorsqu’il a signé le troisième mémorandum en juillet 2015, Alexis Tsipras l’a fait le fusil sur la tempe, sous peine que la Grèce sorte de l’euro. Aujourd’hui, son entourage indique vouloir stabiliser le marché du travail, réintroduire les conventions collectives ou encore augmenter les revenus les plus faibles. Sur la plage de Nauplie, Lia Papaioanou n’y croit plus: «Mon avenir? C’est 400 euros par mois!»
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Depuis 2010, le nombre de Grecs ayant quitté le pays pourrait avoisiner les 500 000