Le rapport qui tombe mal
Un congé parental de 38 semaines! La proposition d’une commission fédérale d’experts, intéressante mais trop extrémiste, laisse les politiciens perplexes
La Commission fédérale de coordination pour les questions familiales (COFF) a fait un bide. En révélant dans la presse dominicale une analyse en faveur d'un congé parental de 38 semaines, elle pensait influer sur les travaux de la Commission sociale du Conseil des Etats, qui se penche ce mardi sur l'initiative du syndicat Travail. Suisse pour un congé paternité de 20 jours. Mais la plupart des politiciens n'ont guère apprécié. «C'est une démarche psychologiquement et stratégiquement maladroite», déclare le président de la commission, Joachim Eder (PLR/ZG).
L'analyse n'en demeure pas moins intéressante. Sur la base d'une revue de quelque 140 études scientifiques, la COFF rappelle que «la Suisse est lanterne rouge en Europe» en matière de congé parental. Et dans le monde, ce n'est guère mieux. Actuellement, la moitié des pays de l'OCDE proposent un congé maternité ou un congé parental d'au moins 43 semaines, la durée moyenne étant de 54 semaines. En Suisse, la jeune maman dispose d'un congé de 14 semaines. Le papa, lui, est jusqu'à présent complètement ignoré par la loi, même si des entreprises comme Migros et Coop lui accordent désormais un congé de trois semaines.
Dès lors, la COFF souligne les nombreux avantages d'un congé parental. Surtout, elle entend briser ce cliché qui voudrait que le congé parental nuise à l'économie. Selon elle, c'est le contraire qui est vrai. Une étude californienne montre que ce congé a un effet positif sur la productivité, le chiffre d'affaires et le climat de travail au sein de l'entreprise. Quant à l'UE, elle a réalisé des modélisations montrant qu'une hausse de 1% seulement du taux d'emploi des femmes générerait suffisamment de recettes fiscales pour compenser un congé parental intégralement rémunéré d'une durée de 18 à 20 semaines. Sur la base de toutes ces considérations, la COFF présente donc un modèle de 38 semaines – rémunérées à raison de 80% du salaire – se décomposant en 14 semaines pour la mère, 8 semaines pour le père et enfin 16 semaines à répartir entre les deux parents.
Le problème, c'est que cette analyse surgit à un moment crucial du débat politique. Ce mardi 21 août, la Commission sociale du Conseil des Etats a invité les partenaires sociaux à propos de l'initiative en faveur d'un congé paternité de quatre semaines avant de se prononcer à son sujet. Or le débat s'amorce mal.
Trois propositions vouées à l’échec
Concrètement, trois propositions s'affrontent et tout laisse à penser qu'elles s'annihileront. Dans un Conseil des Etats à majorité bourgeoise – même si le sénat est plus progressiste que le National – l'initiative de Travail. Suisse est condamnée à l'échec. Reste donc la possibilité d'y opposer un contre-projet, direct ou indirect.
A cet égard, le centre droit présente deux options assez différentes: d'une part, le PDC reprend la version d'une initiative parlementaire de Martin Candinas (PDC/GR), qui s'est longtemps battu en vain pour un congé paternité de deux semaines au Conseil national. D'autre part, le PLR présente un «congé parental» de 16 semaines, dont au minimum huit pour la mère.
Objectivement, toutes deux n'ont elles non plus aucune chance de succès. Jamais la gauche, qui estime que les quatre semaines de l'initiative populaire constituent déjà «un compromis minimal», ne soutiendra le PDC. Mais elle n'envisage pas non plus – comme le PDC et l'UDC d'ailleurs – de s'engager dans la démarche du PLR, qui est «choquante» à ses yeux: huit semaines seulement pour la maman, ce serait une régression inadmissible pour les femmes. Autant dire qu'on risque fort de se retrouver une fois de plus dans une impasse totale à l'issue du débat.
Le vertige de la gauche
Dans ce contexte, l'analyse de la COFF ne contribue en rien à faire progresser le débat. Martin Candinas ne le dit pas ainsi, mais il n'est pas loin de s'en désoler. «Les experts peuvent faire autant de rapports qu'ils le veulent. La politique reste l'art du compromis entre le souhaitable et le faisable», souligne-t-il. Dans ce dossier, les deux Chambres ont refusé une «bonne trentaine» de propositions au cours des dernières décennies. «Il faut dès lors trouver une solution ayant une chance de trouver une majorité dans la population», ajoute-t-il.
Même son de cloche dans la bouche de Joachim Eder. «Cette proposition de 38 semaines est si extrémiste qu'elle n'a aucune chance. Je ne pense même pas qu'elle sera défendue par un seul conseiller aux Etats», estime-t-il. En disant cela, il exprime le vertige qui a saisi la gauche en prenant connaissance du rapport de la COFF. Président de Travail. Suisse, Adrian Wüthrich, dont le syndicat avait d'abord plaidé pour un congé parental de 24 semaines, se fait diplomate: «Cette proposition, qui relève d'un idéal, a le mérite de montrer à quel point notre initiative est un compromis pragmatique.»
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CONSEILLER AUX ÉTATS (PLR/ZG) «C’est une démarche psychologiquement et stratégiquement maladroite»