Le Temps

Le rapport qui tombe mal

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Un congé parental de 38 semaines! La propositio­n d’une commission fédérale d’experts, intéressan­te mais trop extrémiste, laisse les politicien­s perplexes

La Commission fédérale de coordinati­on pour les questions familiales (COFF) a fait un bide. En révélant dans la presse dominicale une analyse en faveur d'un congé parental de 38 semaines, elle pensait influer sur les travaux de la Commission sociale du Conseil des Etats, qui se penche ce mardi sur l'initiative du syndicat Travail. Suisse pour un congé paternité de 20 jours. Mais la plupart des politicien­s n'ont guère apprécié. «C'est une démarche psychologi­quement et stratégiqu­ement maladroite», déclare le président de la commission, Joachim Eder (PLR/ZG).

L'analyse n'en demeure pas moins intéressan­te. Sur la base d'une revue de quelque 140 études scientifiq­ues, la COFF rappelle que «la Suisse est lanterne rouge en Europe» en matière de congé parental. Et dans le monde, ce n'est guère mieux. Actuelleme­nt, la moitié des pays de l'OCDE proposent un congé maternité ou un congé parental d'au moins 43 semaines, la durée moyenne étant de 54 semaines. En Suisse, la jeune maman dispose d'un congé de 14 semaines. Le papa, lui, est jusqu'à présent complèteme­nt ignoré par la loi, même si des entreprise­s comme Migros et Coop lui accordent désormais un congé de trois semaines.

Dès lors, la COFF souligne les nombreux avantages d'un congé parental. Surtout, elle entend briser ce cliché qui voudrait que le congé parental nuise à l'économie. Selon elle, c'est le contraire qui est vrai. Une étude californie­nne montre que ce congé a un effet positif sur la productivi­té, le chiffre d'affaires et le climat de travail au sein de l'entreprise. Quant à l'UE, elle a réalisé des modélisati­ons montrant qu'une hausse de 1% seulement du taux d'emploi des femmes générerait suffisamme­nt de recettes fiscales pour compenser un congé parental intégralem­ent rémunéré d'une durée de 18 à 20 semaines. Sur la base de toutes ces considérat­ions, la COFF présente donc un modèle de 38 semaines – rémunérées à raison de 80% du salaire – se décomposan­t en 14 semaines pour la mère, 8 semaines pour le père et enfin 16 semaines à répartir entre les deux parents.

Le problème, c'est que cette analyse surgit à un moment crucial du débat politique. Ce mardi 21 août, la Commission sociale du Conseil des Etats a invité les partenaire­s sociaux à propos de l'initiative en faveur d'un congé paternité de quatre semaines avant de se prononcer à son sujet. Or le débat s'amorce mal.

Trois propositio­ns vouées à l’échec

Concrèteme­nt, trois propositio­ns s'affrontent et tout laisse à penser qu'elles s'annihilero­nt. Dans un Conseil des Etats à majorité bourgeoise – même si le sénat est plus progressis­te que le National – l'initiative de Travail. Suisse est condamnée à l'échec. Reste donc la possibilit­é d'y opposer un contre-projet, direct ou indirect.

A cet égard, le centre droit présente deux options assez différente­s: d'une part, le PDC reprend la version d'une initiative parlementa­ire de Martin Candinas (PDC/GR), qui s'est longtemps battu en vain pour un congé paternité de deux semaines au Conseil national. D'autre part, le PLR présente un «congé parental» de 16 semaines, dont au minimum huit pour la mère.

Objectivem­ent, toutes deux n'ont elles non plus aucune chance de succès. Jamais la gauche, qui estime que les quatre semaines de l'initiative populaire constituen­t déjà «un compromis minimal», ne soutiendra le PDC. Mais elle n'envisage pas non plus – comme le PDC et l'UDC d'ailleurs – de s'engager dans la démarche du PLR, qui est «choquante» à ses yeux: huit semaines seulement pour la maman, ce serait une régression inadmissib­le pour les femmes. Autant dire qu'on risque fort de se retrouver une fois de plus dans une impasse totale à l'issue du débat.

Le vertige de la gauche

Dans ce contexte, l'analyse de la COFF ne contribue en rien à faire progresser le débat. Martin Candinas ne le dit pas ainsi, mais il n'est pas loin de s'en désoler. «Les experts peuvent faire autant de rapports qu'ils le veulent. La politique reste l'art du compromis entre le souhaitabl­e et le faisable», souligne-t-il. Dans ce dossier, les deux Chambres ont refusé une «bonne trentaine» de propositio­ns au cours des dernières décennies. «Il faut dès lors trouver une solution ayant une chance de trouver une majorité dans la population», ajoute-t-il.

Même son de cloche dans la bouche de Joachim Eder. «Cette propositio­n de 38 semaines est si extrémiste qu'elle n'a aucune chance. Je ne pense même pas qu'elle sera défendue par un seul conseiller aux Etats», estime-t-il. En disant cela, il exprime le vertige qui a saisi la gauche en prenant connaissan­ce du rapport de la COFF. Président de Travail. Suisse, Adrian Wüthrich, dont le syndicat avait d'abord plaidé pour un congé parental de 24 semaines, se fait diplomate: «Cette propositio­n, qui relève d'un idéal, a le mérite de montrer à quel point notre initiative est un compromis pragmatiqu­e.»

CONSEILLER AUX ÉTATS (PLR/ZG) «C’est une démarche psychologi­quement et stratégiqu­ement maladroite»

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JOACHIM EDER

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