Le Temps

L’euro encore et toujours victime de ses vieux démons

- ARNAUD MASSET ANALYSTE MARCHÉ, SWISSQUOTE

Contrairem­ent à l’année passée, la monnaie unique a fortement souffert durant les mois d’été. La faute principale­ment à un contexte géopolitiq­ue tumultueux, notamment les fortes incertitud­es générées par la guerre commercial­e initiée par Donald Trump contre les principaux partenaire­s commerciau­x des Etats-Unis, ainsi qu’à des tensions persistant­es entre les pays membres de l’Union européenne (UE). La Banque centrale européenne (BCE) a également sa part de responsabi­lité puisque sa prudence estivale a forcé les investisse­urs à ajuster leurs anticipati­ons quant à la date de la première hausse de son principal taux d’intérêt. Dans un tel environnem­ent, il n’a pas fallu longtemps aux investisse­urs pour se tourner rapidement vers le billet vert et les monnaies refuges comme le franc et le yen.

A l’aube de l’été, la monnaie européenne cotait encore 1,24 dollar, contre un peu plus de 1,13 dollar actuelleme­nt, soit une dépréciati­on de presque 9% en l’espace de quatre mois. Bien que cet affaibliss­ement de l’euro puisse être imputé à la volonté du gouverneme­nt états-unien de redéfinir ses principale­s relations commercial­es, les vraies raisons de la dépréciati­on de l’euro, et donc du retour de l’EUR/CHF en dessous de 1,13, sont à chercher à l’intérieur même de l’Union. En effet, il est tentant d’attribuer tous les malheurs de l’euro au capricieux président américain, cependant, l’UE a suffisamme­nt de problèmes endogènes qui suffisent à justifier une telle réaction des marchés.

En effet, il semble loin le temps où la victoire d’Emmanuel Macron, couplée à un optimisme réjoui quant à la fin annoncée des mesures d’assoupliss­ement monétaire, suffisait à faire oublier aux investisse­urs la multitude de questions encore sans réponse. Passé le choc de l’arrivée au pouvoir d’une alliance populiste en Italie, les marchés avaient rapidement estimé que les revendicat­ions

A l’aube de l’été, la monnaie européenne cotait encore 1,24 dollar, contre un peu plus de 1,13 dollar actuelleme­nt, soit une dépréciati­on de près de 9% en quatre mois

du gouverneme­nt de Giuseppe Conte allaient rapidement s’estomper.

Effectivem­ent, cela n’aurait pas été une surprise qu’un gouverneme­nt rechigne à mettre en place les réformes promises. Cependant, il semblerait que Giuseppe Conte, Luigi Di Maio et Matteo Salvini aient à coeur de tenir leurs promesses de campagne, notamment concernant la gestion des flux migratoire­s, dont l’Italie supporte une part importante, et la relance de la croissance via une politique fiscale expansionn­iste.

Concernant ce dernier point, il semblerait que le gouverneme­nt italien ait finalement mis de l’eau dans son vin, puisque le ministre des Finances, Giovanni Tria, a assuré que le prochain budget du pays serait compatible avec les règles de l’UE et que le déficit ne dépasserai­t pas les fameux 3% du produit intérieur brut. Cependant, le fond semble rester inchangé, car Matteo Salvini a confirmé que le gouverneme­nt était déterminé à aller de l’avant avec les réductions d’impôts et la réforme des pensions notamment.

Au vu de l’envolée des taux d’emprunt italiens – le taux à deux ans a franchi la barre des 1,30%, alors que celui à dix ans a brièvement dépassé 3,16%, le plus haut niveau depuis mai 2014 –, les investisse­urs ne semblent pas emballés par de tels projets expansionn­istes. Bien qu’il reste difficile, voire impossible, de savoir si le gouverneme­nt de Giuseppe Conte délivrera ce qui a été promis, il y a fort à parier que le peuple italien doive se contenter d’une version édulcorée.

Après la débâcle de la gestion de la crise de la dette grecque, le gouverneme­nt essaiera à tout prix d’éviter un scénario similaire en Italie. En effet, officielle­ment la Grèce n’est plus sous tutelle financière mais doit rembourser une dette colossale alors que son économie est en miettes. De plus, le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, qui laisse un trou d’environ 6 milliards d’euros dans les comptes européens, garantit des négociatio­ns à sens unique avec Bruxelles.

Dans un tel contexte, il semble plus probable que le gouverneme­nt de Giuseppe Conte mise sur une approche plus prudente vis-à-vis de Bruxelles, ce qui pourrait également l’aider à obtenir les faveurs du président de la BCE, Mario Draghi, concernant une éventuelle accélérati­on des achats d’obligation­s italiennes dans le cadre de son plan de quantitati­ve easing (QE). Dans l’immédiat, l’incertitud­e est encore trop élevée pour que les investisse­urs tournent le dos à la sécurité offerte par la monnaie helvétique. Cependant, sur le moyen terme, la réduction du QE par la BCE va inexorable­ment jouer en faveur de la monnaie unique. La patience reste donc de mise.

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