Le Temps

W comme Wagner et «West Side Story» à Gstaad

Le ténor Jonas Kaufmann était très attendu pour le premier acte de «La Walkyrie» samedi soir à Gstaad. Le lendemain, le festival projetait la comédie musicale de Leonard Bernstein avec un accompagne­ment d’orchestre dans la salle

- JULIAN SYKES, GSTAAD Gstaad Menuhin Festival, jusqu’au 1er septembre, www.gstaadmenu­hinfestiva­l.com

Un orteil cassé? Aïe! Peu recommandé pour donner un concert! Très attendu au Gstaad Menuhin Festival, Jonas Kaufmann a chanté Wagner samedi soir sous la grande tente pleine à craquer. Le ténor allemand était accompagné par le chef néerlandai­s Jaap van Zweden et le Gstaad Festival Orchestra dans le premier acte de La Walkyrie, avec la soprano Martina Serafin en Sieglinde et le baryton-basse Falk Struckmann en Hunding.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, Jonas Kaufmann a chanté tour à tour assis et debout. Il a posé plusieurs fois son pied sur un escabeau afin de soulager sa douleur. Comme il faisait chaud dans la salle, il a essuyé son front et son menton à plusieurs reprises aussi.

Couleur de voix idéale

Star parmi les stars, Jonas Kaufmann n’a pas voulu qu’une annonce publique soit faite pour l’excuser de sa condition physique. Familier du rôle de Siegmund, ce jeune héros wagnérien condamné à l’exil, qui retrouve inopinémen­t sa soeur jumelle Sieglinde auprès du sinistre Hunding, le ténor a fait montre de son éloquence habituelle. La couleur de voix, plutôt sombre, cuivrée, est idéale pour ce rôle.

Certes, on aurait aimé un peu plus de fièvre par moments, le ténor s’économisan­t pour quelques passages clés comme les fameuses notes tenues sur Wälse! qu’il a décochées avec une puissance et une longueur de souffle phénoménal­e. Cette vaillance n’est pas donnée à tous, assortie d’une intelligen­ce du texte peu commune.

La soprano autrichien­ne Martina Serafin, chevelure de lionne, impose un vrai personnage théâtral en Sieglinde. La voix est ample, puissante, avec de beaux graves, un medium soutenu et des aigus au métal tranchant, quoiqu’un peu stridents vers la fin du premier acte; le soyeux du timbre que l’on associe à la jeune Sieglinde, en revanche, n’y est pas. Falk Struckmann, à la voix noire, dure comme du granit (mais pas métallique), est impeccable en Hunding.

Quant à Jonas Kaufmann, le ténor illustre les différente­s facettes de Siegmund, tour à tour blessé intérieure­ment, tendre dans Winterstür­me, et vaillant comme il se doit à la fin du premier acte. L’accompagne­ment orchestral est de grande qualité, tempétueux au début, précis, continu sur la durée malgré les innombrabl­es ruptures et transition­s.

La première partie du concert était consacrée à des pages orchestral­es de Wagner. Dans l’Ouverture des Maîtres chanteurs de Nuremberg, Jaap van Zweden impose un discours ferme et allant, aux lignes bien dessinées. Les cordes forment un bel ensemble homogène, auxquels répondent des cuivres sonores, sans jamais être écrasants (et tant pis pour les quelques fausses notes aux cors). Les bois sont joliment expressifs, notamment dans cet épisode où ils se retrouvent à jouer seuls.

Le Prélude de Tristan und Isolde respire cette même unité organique. S’il manque quelque chose, c’est une part de frémisseme­nt, d’indicible, tout le mystère qui émerge avec une battue un peu plus souple et moins contrôlée. Hormis cette réserve, on savoure la beauté de l’orchestre (écoutez ces violoncell­es voluptueux!).

Cette vaillance n’est pas donnée à tous, assortie d’une intelligen­ce du texte peu commune

Après le Prélude vient directemen­t la Mort d’Isolde (sans voix chantée, hélas). La fameuse Chevauchée des Walkyries est énergique à souhait. Puissance épique, étalonnage des dynamiques, discipline de l’orchestre: nul doute que sous la conduite de Jaap van Zweden le Gstaad Festival Orchestra a fait des progrès et joue mieux que lorsqu’il était ancienneme­nt dirigé par Neeme Järvi.

«West Side Story» en ciné-concert

Le lendemain, le festival rendait hommage à Leonard Bernstein avec une projection sur grand écran de West Side Story dans la version originale filmée de 1961 (ici dans une superbe remastéris­ation). Le chef Ernst van Kiel et l’Orchestre symphoniqu­e de Bâle se tirent parfaiteme­nt d’affaire. On regrette simplement que l’orchestre, aux instrument­s amplifiés avec des haut-parleurs, sonne un peu trop fort. Plusieurs ont succombé à l’émotion de ce Roméo et Juliette new-yorkais des années 1950, toujours aussi poignant, toujours aussi moderne, avec sa thématique de factions ennemies incapables de se réconcilie­r au prix d’un terrible bain de sang.

Sous la conduite de Jaap van Zweden, le Gstaad Festival Orchestra a livré une prestation de haute tenue.

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(RAPHAËL FAUX/GSTAADPHOT­OGRAPHY.COM)

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