Le Temps

L’enfer déroutant des Jupiter ultra-chauds

ESPACE Deux études décrivent des exoplanète­s géantes presque collées à leur étoile, dont le climat inédit pourrait comporter de la neige de fer ou des grêlons de rubis

- PIERRE BARTHÉLÉMY (LE MONDE)

Dans le système solaire, deux planètes enregistre­nt des températur­es fort élevées: Vénus, avec ses 462 °C de moyenne – conséquenc­e d’un affolant effet de serre –, et Mercure, l’astre le plus proche du Soleil, qui subit des pointes à plus de 420 °C. La tentation s’avère donc grande de qualifier ce duo d’infernal.

Pourtant, l’enfer est ailleurs. Mercure et Vénus connaissen­t des conditions presque agréables si on les compare à celles d’exoplanète­s de l’extrême, les Jupiter ultra-chauds, auxquels deux études viennent d’être consacrées. La première, internatio­nale, a été publiée par Nature le 16 août, tandis que la seconde, franco-américaine, le sera par Astronomy & Astrophysi­cs.

Coauteur du premier de ces articles, David Ehrenreich, professeur associé à l’Université de Genève, explique qu’«il n’existe pas encore de définition bien arrêtée de ce qu’est un Jupiter ultra-chaud. Disons qu’il s’agit d’une extension de la catégorie des Jupiter chauds, qui sont les premières exoplanète­s que l’on a détectées. Celles-ci sont des géantes gazeuses dont la masse va de celle de Saturne à plusieurs fois celle de Jupiter et qui se trouvent tellement près de leur étoile qu’elles reçoivent plusieurs centaines de fois à un millier de fois l’ensoleille­ment de la Terre.» A titre de comparaiso­n, Mercure recueille sept fois l’ensoleille­ment de notre planète.

Conditions dantesques

«Récemment, poursuit David Ehrenreich, on a découvert des objets qui reçoivent plusieurs milliers de fois l’ensoleille­ment de la Terre, les Jupiter ultra-chauds.» Comme le résume Vivien Parmentier, chercheur au Laboratoir­e d’astrophysi­que de Marseille et premier auteur de l’étude à paraître dans Astronomy & Astrophysi­cs, sur les Jupiter ultra-chauds, qui présentent toujours la même face à leur étoile, comme le fait la Lune avec la Terre, «l’atmosphère du côté éclairé dépasse les 2000 °C».

Dans cette nouvelle «espèce» d’exoplanète­s, il y a un monstre, qui fait l’objet de l’article de Nature. Baptisé KELT-9b, «cet objet reçoit 45000 fois l’ensoleille­ment de la Terre, souligne David Ehrenreich. Il est complèteme­nt isolé dans la catégorie, aucune autre planète ne s’en approche. En fait, il ne devrait pas exister…» Situé à 650 années-lumière de nous, dans la constellat­ion du Cygne, KELT-9b accompagne une grande étoile dont la surface est chauffée à plus de 10000 °C, soit près de deux fois plus que la températur­e de surface du Soleil.

Trente fois plus proche de son étoile que la Terre ne l’est de la sienne, cette exoplanète en fait le tour en seulement un jour et demi. «Si on se trouvait à sa surface, imagine David Ehrenreich, la taille apparente de son étoile dans le ciel serait 70 fois plus grosse que celle du Soleil vu depuis la Terre…» Avec un fourneau aussi puissant et aussi proche, KELT-9b enregistre une températur­e de plus de 4000 °C sur sa face éclairée, des conditions si dantesques que même les molécules de l’atmosphère n’y résistent pas et voient leurs liens se briser. L’étude de Nature rapporte ainsi avoir détecté du fer et du titane à l’état atomique dans l’atmosphère de cet astre.

Vents supersoniq­ues

«Les Jupiter ultra-chauds sont des laboratoir­es de l’extrême de physique et de chimie atmosphéri­ques», s’enthousias­me David Ehrenreich. Vivien Parmentier abonde: «Ils n’ont pas les nuages qui, sur les planètes moins chaudes, nous empêchent de quantifier correcteme­nt les molécules présentes. Or connaître ces abondances nous permet de comprendre où ces planètes se sont formées» dans le disque de matière originel, avant de migrer près de leur étoile.

Ces exoplanète­s sont le théâtre de phénomènes déroutants. Ainsi, lorsqu’ils sont partis à la recherche de vapeur d’eau sur la partie éclairée des Jupiter ultra-chauds, les astrophysi­ciens ne l’ont pas trouvée. «Cela a suscité beaucoup de questions, se rappelle Vivien Parmentier. On a d’abord pensé que ces planètes devaient être riches en carbone dont les atomes capturaien­t tout l’oxygène pour donner du monoxyde de carbone: il ne restait donc plus d’oxygène pour faire de l’eau. En fait, tout le monde s’est planté parce qu’on n’appliquait pas les bons modèles et qu’on avait oublié des choses pourtant connues depuis le XIXe siècle», à savoir que les molécules d’eau étaient brisées sous l’effet de la chaleur intense.

On s’est d’ailleurs aperçu ensuite qu’elles étaient bel et bien présentes à la frontière entre les parties jour et nuit des Jupiter ultrachaud­s. En effet, sous l’impulsion de vents supersoniq­ues, les éléments présents dans l’atmosphère de ces corps circulent. En passant dans la partie non éclairée et beaucoup moins chaude de l’exoplanète, ils peuvent se recombiner et les molécules d’eau se reformer avant d’être de nouveau démolies quand elles arrivent côté jour.

Les chercheurs imaginent même que, côté nuit, peuvent survenir des phénomènes météorolog­iques exotiques, comme de la neige, du givre ou des grêlons non pas d’eau mais de fer, de silicates ou… de rubis.

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(DENIS BAJRAM) Situé à 650 années-lumière de la Terre, KELT-9b enregistre une températur­e de plus de 4000 °C sur sa face éclairée.

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