Le Temps

A quel jeu joue Rudy Giuliani, l’avocat de Trump qui se répand en contre-vérités?

L’ex-maire de New York, devenu l’avocat personnel du président américain, se répand en déclaratio­ns déconcerta­ntes. Il pourrait finir par nuire gravement à son client

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

Dire que Rudy Giuliani en fait trop relève de l’euphémisme. L’exmaire de New York, devenu l’avocat personnel de Donald Trump en avril, se répand ces jours en déclaratio­ns tonitruant­es. Il surprend, déconcerte, interpelle. A force d’occuper le terrain et de tirer la couverture à lui, il est en passe de faire de l’ombre au président. Or ce comporteme­nt pourrait lui être fatal. On se souvient de l’épisode du limogeage du controvers­é Steve Bannon, ancien confident et conseiller stratégiqu­e de Trump devenu paria. Le président était entré dans une colère noire en voyant la une du Time qui décrivait Bannon comme le «grand manipulate­ur».

Autre exemple: le très éphémère directeur de communicat­ion Anthony Scaramucci, limogé après dix jours seulement. Son francparle­r, ses insultes et son attitude fantasque couplés à son ego surdimensi­onné ont eu raison de lui.

A quel jeu joue donc Rudy Giuliani? Dimanche soir, il a créé onde de choc et moqueries aux EtatsUnis, en osant, lors d’une interview télévisée sur NBC, dire, à propos de l’enquête russe du procureur indépendan­t Robert Mueller: «La vérité n’est pas la vérité.» Des propos hallucinan­ts alors que la Maison-Blanche est déjà accusée de se répandre en contre-vérités. Il craint visiblemen­t que Trump soit «piégé en étant poussé au parjure» s’il devait témoigner dans le cadre de l’enquête censée prouver qu’il y a eu collusion entre Moscou et son entourage pendant la présidenti­elle de 2016. L’humoriste John Oliver a sauté sur l’occasion. «Ce genre de déclaratio­n est tout juste acceptable pour un étudiant en deuxième année de philosophi­e qui vient d’essayer pour la première fois de la «molly» [sorte d’ecstasy de synthèse, ndlr]», s’est-il moqué, lors de son émission Last Week Tonight.

En agissant ainsi, Rudy Giuliani, 74 ans, enfonce le clou. Comme il l’a enfoncé lors d’autres épisodes à classer dans le registre «déconcerta­nt». Il a par exemple, dans l’affaire de la star du X Stormy Daniels, osé dire, sur Fox News, que Trump avait bien remboursé les 130000 dollars que son avocat Michael Cohen avait versés à l’actrice en échange de son silence. Cela alors que le président avait jusqu’alors toujours déclaré ne pas être au courant du paiement.

Calife à la place du calife

Il s’exprime sans filtre, est champion en déclaratio­ns à l’emporte-pièce, fait presque pire que Trump en termes de contradict­ions. A force de se mettre dans le rôle de celui qui veut être calife à la place du calife et de briser les codes, Rudy Giuliani pourrait très vite devenir un poids pour le président américain. Sur CNN, le colonel à la retraite Ralph Peters résume très bien la situation: «Il était une star, tout le monde le respectait, les gens l’aimaient. Visiblemen­t, il recherche à nouveau cela. Et à la place, il se transforme en caricature pathétique de lui-même. Il est peutêtre une sorte de distractio­n, mais honnêtemen­t il nuit grandement au président en ne sachant pas fermer sa bouche.»

Fils d’immigrants italiens devenu millionnai­re, Rudy Giuliani est un des fervents soutiens de Trump depuis 2016. Son nom avait même circulé pour le poste de secrétaire d’Etat, avant la nomination de Rex Tillerson, évincé depuis. Avant de devenir maire de New York entre 1994 et 2001, et d’être confronté aux attentats du 11-Septembre, il était procureur fédéral. Il a souvent été accusé de faire de la justice spectacle, procédant parfois à des arrestatio­ns sans avoir suffisamme­nt d’éléments à charge. Mais il s’est révélé efficace en parvenant à faire baisser l’insécurité. Il a osé s’en prendre à des pontes de Wall Street. En 2001, Time Magazine a fait du «maire de l’Amérique» son homme de l’année. Sa période de gloire.

Doit-on lier son tempéramen­t et son bagout à son environnem­ent familial? Son propre père, Harold Giuliani, a été condamné pour vols. Il a ensuite surtout officié comme garde du corps pour Leo D’Avanzo, son beau-frère, un petit caïd de la mafia new-yorkaise.

En janvier 2017, Rudy Giuliani se voit confier une tâche par Donald Trump: le conseiller dans le domaine de la cybersécur­ité, alors que l’affaire des hackers russes bat son plein. Mais c’est bien depuis qu’il est devenu son «avocat personnel» que le mégalomane Rudy Giuliani est devenu plus remuant et abrasif. Et que les critiques pleuvent. Ses apparition­s médiatique­s rendraient Trump toujours plus nerveux.

«Je l’ai vu faire preuve de grandeur et c’est pourquoi il est si triste de voir ce qu’il est devenu» ANDREW KIRTZMAN, BIOGRAPHE DE RUDY GIULIANI

Leadership et méthode

Même son biographe Andrew Kirtzman, auteur de «Rudy Giuliani: Empereur de la ville» (2000), déplore cette métamorpho­se. Dans une interview accordée à Slate en mai, il souligne: «Même quand il attaquait quelqu’un, il était extrêmemen­t persuasif. Cette qualité a vraiment disparu à la convention républicai­ne pour Trump [à Cleveland, en juillet 2016, ndlr]. C’était un spectacle horrible et déprimant. J’étais avec Giuliani le 11 septembre 2001. J’ai été impression­né par son leadership et son calibre, son approche méthodique pour remettre les choses en place et la manière inspirante avec laquelle il a calmé la ville et rassuré nos esprits. Dans certains milieux libéraux, il a toujours été un peu à la mode de détester Giuliani, mais je n’ai jamais fait partie de ces gens-là. Je l’ai vu faire preuve de grandeur et c’est pourquoi il est si triste de voir ce qu’il est devenu.»

Le roi de la provocatio­n semble aujourd’hui être presque hors de contrôle. Même pour Trump. Surtout pour Trump. ▅

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(CARLO ALLEGRI/REUTERS) L’ancien maire de New York Rudy Giuliani: «La vérité n’est pas la vérité.»

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