Zurich veut équiper ses policiers de «bodycams»
Confronté à la hausse des cas d’agressions contre des agents, l’exécutif zurichois souhaite généraliser l’usage de caméras par les forces de l’ordre. La décision ravive le débat en Suisse
La ville de Zurich compte doter ses agents municipaux de caméras embarquées. L’annonce a été faite au lendemain d’un nouveau cas de violence contre les forces de l’ordre, samedi dernier. Alors qu’une patrouille intervenait pour mettre fin à une bagarre au couteau, les agents ont été pris pour cible par des individus, certains cagoulés ou portant des maillots du FC Zurich. Aux jets de pierres et de bouteilles, les policiers ont riposté avec des lances à eau et des balles en caoutchouc. L’intervention de quatorze patrouilles a finalement été nécessaire pour repousser les quelque 200 à 300 fauteurs de troubles.
Volte-face
Karin Rykart, municipale verte responsable de la sécurité, a opéré une volte-face. Opposée par le passé aux bodycams, elle estime désormais que cet outil a «un effet protecteur» et qu’il devrait s’intégrer dans le travail quotidien des patrouilles. L’exécutif devra encore obtenir l’aval du parlement, chargé d’élaborer une base légale permettant aux agents de filmer des individus dans l’espace public.
Les conclusions de l’Université des sciences appliquées de Zurich, chargée d’évaluer l’essai pilote zurichois en 2017, n’étaient pas tranchées: «Il n’y a pas d’argument scientifique clair ni pour ni contre l’usage des caméras embarquées», indique le rapport. Les chercheurs observaient toutefois un «effet positif»: dans 50 des 136 cas observés, la caméra avait permis d’éviter une agression physique.
Aux Etats-Unis, l’usage de bodycams s’est généralisé d’abord dans le but d’éviter les abus d’autorité. En Suisse, il est d’abord présenté comme un outil de protection pour les agents. Mais le sujet, qui soulève la question de la protection des données, est loin de faire l’unanimité dans la profession. Le comité central de la Fédération suisse des fonctionnaires de police s’est prononcé contre. «Les policiers redoutent que les caméras ne soient employées pour surveiller leur travail», souligne Max Hofmann, secrétaire général.
«Filmer au quotidien les interventions risque de mettre en péril le lien de confiance entre la police et le citoyen. Nous ne jugeons pas nécessaire de généraliser cette pratique. Mais c’est un instrument intéressant pour certaines interventions, comme un match de football à risque», souligne le président de la Conférence des commandants de police de la Suisse romande Christian Varone.
La crainte d’un «flicage» de la police avait aussi fait surface lors du débat sur les bodycams au parlement vaudois, qui avait fini par rejeter la proposition au printemps 2015. Faute de base légale cantonale, un projet d’introduction de mini-caméras au niveau communal était tombé à l’eau. Mais le débat n’est pas clos. L’expérience zurichoise a réactivé l’intérêt pour cet instrument et la ville de Lausanne, en collaboration avec l’université, planche sur une étude destinée à «faire le point» sur le sujet.
Les autorités genevoises se disent également intéressées. Le conseiller d’Etat responsable de la sécurité Pierre Maudet estime que les bodycams peuvent bénéficier à la police comme «moyen de preuve a posteriori» en cas de litige lors d’une intervention. Mais il préconise un emploi ciblé et non systématique. Le préposé à la protection des données et à la transparence du canton, Stéphane Werly, estime quant à lui nécessaire de préciser les conditions dans lesquelles ce type d’outils peut être utilisé: «Un individu doit savoir qu’il est filmé. Les images doivent être détruites après un certain temps. A l’heure actuelle, le cadre législatif est insuffisant.»
Agressions ou invectives contre les fonctionnaires de l’Etat suivent une courbe exponentielle en Suisse: de 774 en 2000, elles ont passé à 3102 en 2017. Genève observe aussi une «hausse de la résistance», souligne Silvain Guillaume-Gentil, chargé de communication de la police: de 100 «affaires» en 2014, on en recense 166 en 2017. Un phénomène qui s’explique aussi par un changement de pratique: «Nous encourageons les agents à dénoncer systématiquement, explique-t-il. On a trop longtemps estimé que la violence faisait partie du métier. De même qu’on incite les femmes à davantage porter plainte contre les agressions, il faut encourager les agents à ne plus accepter les injures.»
«On a trop longtemps estimé que la violence faisait partie du métier»
SILVAIN GUILLAUME-GENTIL, CHARGÉ DE COMMUNICATION DE LA POLICE GENEVOISE