Le Temps

Du dojo au bureau

DESTIN DE CHAMPION (3/5) Il a été champion d’Europe, vice-champion du monde et a décroché le bronze olympique. Désormais retraité du monde sportif, le judoka suisse mène une deuxième carrière tambour battant

- BORIS BUSSLINGER @BorisBussl­inger

Il y a tout juste dix ans,

Sergei Aschwanden décrochait le bronze aux

JO de Pékin. Aujourd’hui, le judoka quadragéna­ire et toujours hyperactif est directeur de station à Villars-sur-Ollon, élu PLR au Grand Conseil vaudois et candidat au Conseil national. Du dojo au bureau, histoire d’une reconversi­on.

Un café?» propose Sergei Aschwanden en déboulant dans la pièce comme un train. Dès le premier coup d’oeil, il est évident que l’ancien judoka n’a pas troqué son quotidien de sportif d’élite pour les frites mayonnaise. Véritable boule d’énergie, le quadragéna­ire est visiblemen­t en forme, son t-shirt tendu sur des biceps protubéran­ts. Il y a tout juste dix ans, il décrochait la médaille de bronze au Jeux olympiques de Pékin dans la catégorie des moins de 90 kilos. Une décennie plus tard, le voilà directeur de station à Villars-sur-Ollon, élu PLR au Grand Conseil vaudois et candidat au Conseil national. Comment a-t-il négocié sa transition du dojo au bureau?

«Il faut être conscient que ce n’est pas avec le judo qu’on fait de l’argent ou qu’on suscite de l’intérêt médiatique, explique Sergei Aschwanden, c’est bien trop compliqué! Même en expliquant patiemment les règles, personne n’y comprend rien. Du coup, la reconnaiss­ance du grand public n’est pas suffisante pour intéresser de gros sponsors.» Une seule exception à la règle, dit-il: le Français Teddy Riner. «Mais c’est un athlète hors norme», souligne le Vaudois. Double champion olympique et dix fois champion du monde dans la catégorie reine, 2m04 pour 140 kilos, le poids lourd né en Guadeloupe est en effet peu convention­nel. Prisé des grandes marques, son profil atypique l’a rendu millionnai­re.

«Si on fait quelque chose, il faut le faire bien»

S’il a lui aussi bénéficié du soutien de sponsors – notamment le garage Emil Frey ou feu Athleticum – Sergei Aschwanden n’a, lui, jamais perçu assez d’argent pour pouvoir envisager une retraite sportive les doigts de pied en éventail. Ce n’est de toute façon pas le genre de la maison. «Après Pékin, je ne savais pas encore si j’allais arrêter. Mais je n’avais plus la volonté de m’investir à 200%. Et sans vouloir être le meilleur, c’est compliqué de faire du sport de haut niveau.»

Se pose alors la question de la reconversi­on. Treize ans après l’obtention de sa maturité (en 1996), le Vaudois choisit de retourner sur les bancs d’école. «Un nouveau challenge», dit le fonceur, qui opte pour un bachelor en sciences du sport avec une mineure HEC, suivi d’un master en gestion du sport et des loisirs. Avec succès: Il est engagé dès l’obtention de son diplôme comme directeur sportif à Villars. Il a 38 ans.

Dès son arrivée, en 2013, le novice est confronté à la crise du tourisme montagnard. Un nouveau défi pour le stoïque judoka, qui ne se laisse pas impression­ner: «Les crises, dit-il, c’est comme les défaites dans le sport: cela permet de se remettre en question. Ce qui est toujours bénéfique. En plus, moi, quand ça roule, ça m’ennuie.» Trois ans plus tard, en 2016, il est nommé directeur de station. En plus du centre des sports, il gère désormais également l’office du tourisme. Un travail «exposé», dit-il, qu’il compare à celui d’un entraîneur de football: «Quand ça va bien, c’est bien. Quand ça va mal, c’est de ma faute.»Mais le job lui convient parfaiteme­nt: «Je me lève à 5 heures moins le quart et je rentre souvent entre 9 et 10 heures du soir. Je fais 4000 heures par an environ, ce qui correspond presque à un 200%. Je travaille tous les jours, weekend compris, c’est là que les touristes sont en station. C’est un choix. Chacun décide de mettre le curseur où il veut. Moi, j’ai toujours fonctionné comme ça. Si on fait quelque chose, il faut le faire bien.» De quoi combler cet hyperactif qui considère sa vie actuelle comme «tout aussi passionnan­te que celle d’avant».

Un simple bout de métal

A cet horaire impression­nant s’ajoute une vie de famille nombreuse – le judoka est père de quatre enfants (et en aimerait un cinquième), du sport – au petit matin ou à midi, et ses activités politiques de député au Grand Conseil vaudois.

La politique, il y a tout d’abord été sensibilis­é par son père, puis par la conseillèr­e d’Etat Jacqueline de Quattro. Ancienne championne de Suisse de judo – elle fréquente le même dojo que Sergei Aschwanden –, la politicien­ne le met en contact avec le parti. La sauce prend: en 2017, il rejoint le groupe PLR au parlement cantonal. Et ne compte peut-être pas s’arrêter en si bon chemin. «Je n’ai pas d’ambition particuliè­re, tempère le médaillé olympique. Si je réussis à accéder au Conseil national, tant mieux. Sinon, tant mieux aussi. Mais quand même, concède-t-il, devenir conseiller national… Mon aspect compétitif ressort un peu, c’est vrai.» Quelques années à peine après la fin de ses études, l’ancien sportif d’élite devenu directeur de station pourrait ainsi devenir sénateur à Berne. Quelle importance donner à cet ippon d’août 2008, à Pékin, dans ce parcours sans faute apparente? Ce jour de bronze, de troisième place synonyme de victoire après deux échecs consécutif­s à Athènes et à Sydney, cette fraction de seconde pour laquelle des inconnus le félicitent encore dans la rue? «Ma médaille a certaineme­nt contribué à mon engagement par Villars, dit-il, mais ce n’est pas elle qui amène les touristes!»

La compétitio­n dans la peau

Toutefois, il l’admet volontiers, la breloque est importante. «Particuliè­rement pour ce qu’elle a déclenché comme conséquenc­es psychologi­ques et humaines. Elle m’a facilité beaucoup de choses. Si je ne l’avais pas décrochée, est-ce que j’aurais autant de détachemen­t maintenant? Je ne sais pas», réfléchit-il à haute voix. «Mais je trouve aussi ça pervers. Que ce simple bout de métal change une vie…»

Aujourd’hui, le Vaudois ne combat plus. Ou tout au plus effectue-t-il quelques prises lors de son camp de judo annuel. Il l’assure, la compétitio­n de haut niveau ne lui manque pas. «La roue tourne», philosophe-t-il. Avant de préciser: «Et puis quand je vois que je régresse, ça me vexe.» Pour dépenser son énergie, il pratique d’autres activités sportives. Notamment le tennis. Il a d’ailleurs rendez-vous sur le court dès notre entrevue terminée. «Mais sans faire de compétitio­n, dit-il, sinon je deviens mordu et je n’arrive plus à m’arrêter.» Il précise toutefois: «Mais j’ai déjà battu R5.» Avant d’ajouter: «En squash je suis meilleur, j’ai déjà gagné contre des joueurs de Ligue nationale B!» Le goût du défi, toujours.

Demain: Badile Lubamba, Congo connexion

«Ma médaille a certaineme­nt contribué à mon engagement par Villars, mais ce n’est pas elle qui amène les touristes! Je trouve pervers que ce simple bout de métal change une vie»

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(EDDY MOTTAZ POUR LE TEMPS)

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