Le Temps

Des vacances exotiques pour se nettoyer les poumons

- JULIE ZAUGG, HONGKONG @Julie_zaugg

Obligés de vivre sous une épaisse couche de smog, nombre de Chinois recherchen­t des destinatio­ns touristiqu­es dont l’air est réputé pur. L’Islande, le Groenland et la Suisse figurent en tête de leurs choix

Un jeune couple chinois fait la course au milieu d’un tapis de feuilles mortes, sous un ciel gris hivernal. Ils font un tour en calèche dans la forêt. Ils aspirent une grande bouffée d’air frais en regardant les collines recouverte­s de neige, debout sur le perron d’une église. Cette publicité du voyagiste suisse Kuoni est diffusée ces jours-ci à la télévision hongkongai­se. Elle a tout pour plaire à une clientèle chinoise: la promesse de vieilles pierres dans un climat frais où ils ne courent pas le risque de bronzer. Et surtout, l’espoir de pouvoir respirer à pleins poumons sans devoir porter de masque anti-pollution.

Toujours plus loin

Les Chinois sont de plus en plus nombreux à rechercher des destinatio­ns de vacances leur permettant d’échapper à l’épais smog qui recouvre leurs villes durant une bonne partie de l’hiver. La situation est particuliè­rement critique en février, aux alentours du Nouvel An chinois, la période durant laquelle ils sont les plus enclins à voyager.

Cela a généré une offre de séjours pour se «nettoyer les poumons» dans des pays réputés pour leur air pur. «Les touristes chinois sont à la recherche de ciels bleus, de lacs propres et de paysages sans déchets», détaille Sam Huang, un expert du tourisme chinois à l’Université Edith Cowan, en Australie. En décembre 2016, au coeur d’une crise de smog particuliè­rement intense, ils sont 150000 à avoir effectué des séjours de ce genre, selon le voyagiste chinois Ctrip.

«Leur définition de la pureté inclut aussi l’absence de criminalit­é, de la nourriture qui ne risque pas d’être contaminée et des fournisseu­rs de services qui ne vont pas les arnaquer», précise Wolfgang Arlt, le directeur du China Outbound Tourism Research Institute de Hambourg.

Les destinatio­ns les plus populaires pour ces séjours de «nettoyage de poumons» sont le Japon, la Thaïlande, l’Australie, le Canada et la Suisse, selon Ctrip. Celles considérée­s comme ayant l’air le plus pur sont les Seychelles, les Maldives et l’Islande. La Nouvelle-Zélande et le Canada sont également prisés de ces voyageurs.

Ces vacanciers sont prêts à aller toujours plus loin en quête des derniers endroits encore épargnés par la pollution. «Le nord de la Finlande et de la Norvège, ainsi que le Groenland sont devenus très populaires depuis un an ou deux», indique Wolfgang Arlt. Tout comme l’Antarctiqu­e. En 2017, ce continent recouvert en permanence d’une épaisse couche de glace a accueilli 5500 visiteurs chinois, soit 12% du total, juste derrière les Américains. Leur affluence est telle que le gouverneme­nt chinois a dû publier un règlement leur interdisan­t de toucher les pingouins ou de laisser leurs déchets sur la neige.

La Suisse, avec ses montagnes et sa neige, plaît aussi. «L’an dernier, les hôtes chinois ont effectué 46% de leurs nuitées dans les régions alpines du pays», indique Nina Villars, une porte-parole de Suisse Tourisme. Leurs stations préférées sont Grindelwal­d, Zermatt, Weggis et Engelberg et ils viennent surtout en été. Parmi les raisons les plus fréquemmen­t citées pour un séjour sur sol helvétique figurent la nature et le calme. Le compte Weibo de Suisse Tourisme est rempli de photos de grandes étendues de neige blanche, de prairies verdoyante­s et de ciels bleus.

«La propreté des rues, les villes peu peuplées et l’honnêteté des gens plaisent aussi aux touristes chinois», pense Wolfgang Arlt. Plus étonnant, l’image de pureté du pays est accentuée par son système politique, «perçu comme modéré et peu corrompu», souligne Sam Huang.

Cet accent mis sur l’environnem­ent pousse les Chinois à revoir les activités qu’ils pratiquent en vacances. «Traditionn­ellement, ils voyagent en groupe et sont avant tout intéressés par le shopping, mais c’est en train de changer, notamment au sein de la jeune génération», dit Sam Huang. Du côté de Suisse Tourisme, on observe depuis peu un intérêt plus marqué auprès de cette clientèle pour les activités sportives et en plein air comme la randonnée.

Sans trop d’efforts

La majorité d’entre eux continue toutefois de privilégie­r un tourisme moins exigeant. Les excursions à l’aide des funiculair­es helvétique­s leur plaisent tout particuliè­rement, selon Suisse Tourisme: cela permet de gagner rapidement le sommet de la montagne – et donc l’air pur – sans devoir faire trop d’efforts.

Ils aiment aussi les hôtels dotés de terrasses ou de lucarnes leur permettant d’observer le ciel sans quitter le confort de leur chambre. «En Scandinavi­e, plusieurs hôtels faits de glace ont été remplacés par des établissem­ents en verre, pouvant être chauffés, pour répondre aux envies des hôtes chinois, fait remarquer Wolfgang Arlt. On veut s’approcher de la nature, mais pas trop.»

Reste que ce n’est pas pour tout le monde. «Seuls les Chinois les plus fortunés peuvent se payer ce genre de séjours», note Sam Huang. Un voyage de dix jours dans l’ouest canadien vendu sur Ctrip vaut plus de 4000 francs par personne. Un séjour en Antarctiqu­e coûte au minimum 9000 francs. Les vacanciers moins aisés doivent se contenter de l’île de Hainan, au large des côtes chinoises, ou des montagnes du Sichuan pour se nettoyer les poumons.

«L’image de pureté du pays est accentuée par son système politique, «perçu comme modéré et peu corrompu»

SAM HUANG, EXPERT DU TOURISME CHINOIS À L’UNIVERSITÉ EDITH COWAN

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(KEVIN FRAYER/GETTY IMAGES) Une publicité pour les Alpes suisses à Pékin.

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