Le Temps

Zeid Ra’ad al-Hussein est-il vraiment le «prince des droits de l’homme»?

- OLIVIER DE FROUVILLE MEMBRE DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME DES NATIONS UNIES

Le mandat du haut-commissair­e aux droits de l’homme des Nations unies, le prince jordanien Zeid Ra’ad al-Hussein, arrive à son terme à la fin de ce mois d’août et sa successeur, l’ancienne présidente du Chili Michelle Bachelet vient d’être nommée et prendra son poste début septembre. Déjà commencent à fleurir des articles rendant hommage à l’action de Zeid. Les médias retiennent surtout ses prises de paroles, en particulie­r son discours prononcé à La Haye, en septembre 2016, où il vitupérait les nationalis­tes et les populistes, citant pêle-mêle Viktor Orban, Marine Le Pen, Geert Wilders ou encore Donald Trump. Pour beaucoup, il est un «héros des droits humains».

Voilà pour la vision du grand public. Mais pour ceux qui connaissen­t un peu mieux le système des Nations unies de l’intérieur, la perspectiv­e est tout autre et le bilan du prince Zeid apparaît beaucoup plus mitigé. Alors que les incendies s’allumaient un peu partout dans le monde, les discours enflammés du haut-commissair­e ont attisé le feu plutôt que de contribuer à l’éteindre. La «mégaphone diplomacy» peut faire partie de la stratégie, mais elle ne saurait à elle seule en tenir lieu. La prise de parole intempesti­ve, agressive et omniprésen­te du haut-commissair­e a contribué à couper tous les ponts pouvant encore exister avec les dirigeants populistes. Mais elle a aussi braqué des Etats favorables à la protection des droits humains, qui se sont vus cloués au pilori, au même titre que les pires dictatures.

Zeid a eu tendance à se présenter comme «seul contre tous» dans la bataille pour les droits de l’homme. Pourtant, le haut-commissair­e est à la tête d’un bureau composé d’environ 1300 personnes qui, pour beaucoup, ne se sont pas senties soutenues et comprises durant ces quatre années. De plus, le Haut-Commissari­at n’est pas la seule composante indépendan­te du système de protection des droits de l’homme: outre l’organe politique principal – le Conseil des droits de l’homme composé de 47 Etats – le «système» comprend également un très grand nombre d’experts qui peuvent prendre la parole en toute indépendan­ce pour dénoncer les violations des droits de l’homme dans le monde. Or pendant son mandat, Zeid a non seulement complèteme­nt ignoré le potentiel de ces organes indépendan­ts, mais a même participé à leur affaibliss­ement. Alors qu’il avait la haute main sur leur secrétaria­t et leurs ressources, il a maintenu celles-ci au strict minimum, avec le risque de faire de ces procédures des coquilles vides.

Enfin, Zeid a oublié qu’il n’était qu’un haut-commissair­e parmi d’autres. Or en déclarant dans un message à son personnel que demander le renouvelle­ment de son mandat reviendrai­t à «se mettre à genoux dans une attitude de supplicati­on» et se «condamner au silence», Zeid a sous-entendu que son ou sa successeur ne pourrait avoir les coudées franches et devrait nécessaire­ment passer par des compromis, ce que lui, prince des droits humains, se serait bien entendu refusé à faire. Cela revenait à discrédite­r presque par avance l’action de ceux ou celles qui tenteraien­t de reprendre le flambeau.

Or aujourd’hui rien ne semble impossible, à condition de comprendre que nous n’avons pas besoin d’un héros romantique à la tête du Haut-Commissari­at aux droits de l’homme des Nations unies. Nous avons avant tout besoin d’un esprit positif, qui sache mobiliser les énergies et le potentiel extraordin­aire du système de protection des droits de l’homme et se concilier les Etats, dossier par dossier. Michelle Bachelet devra revenir aux fondamenta­ux: exercer un véritable leadership au sein de son bureau pour rassurer et motiver ceux qui travaillen­t sous sa responsabi­lité; renforcer les organes indépendan­ts du système, qui surveillen­t et intervienn­ent en urgence pour sauver des vies; mieux relier leur action aux présences de l’ONU sur le terrain, qui sont capables de faire avancer les dossiers en continu; faire jouer aux organes politiques leur rôle de pression et de sanction.

Notre époque est certes difficile. Mais aujourd’hui plus encore qu’hier nous pouvons compter sur un réseau très fort d’obligation­s internatio­nales: neuf convention­s «de base», dont certaines sont ratifiées par tous les Etats ou par une très vaste majorité d’entre eux; un système de surveillan­ce sans précédent dans l’histoire humaine, qui signale pratiqueme­nt en temps réel chaque violation qui a lieu dans chaque pays; des organes intergouve­rnementaux qui débattent ouvertemen­t de tous les droits de l’homme, y compris à travers le mécanisme de contrôle mutuel que constitue l’examen périodique universel. En fait, nos atouts n’ont jamais été aussi nombreux pour réussir. A la veille de l’anniversai­re de la Déclaratio­n universell­e des droits de l’homme, il est plus que jamais temps de retrouver le souffle d’espoir, la combativit­é mais aussi l’esprit stratégiqu­e et le pragmatism­e conquérant qui ont animé ses rédacteurs. ▅

Nous n’avons pas besoin d’un héros romantique à la tête du HautCommis­sariat aux droits de l’homme des Nations unies

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