Le Temps

Le greenwashi­ng, machine à laver plus vert

Quand les multinatio­nales se positionne­nt sur des thématique­s environnem­entales, elles soulèvent le doute sur leurs réelles intentions: engagement durable ou simple technique de communicat­ion?

- RACHEL RICHTERICH @RRichteric­h

Oui, mais. Ces deux mots résument à eux seuls les soupçons qu’éveillent les entreprise­s quand elles parlent de développem­ent durable. L’une améliore sa consommati­on énergétiqu­e, une autre mise sur le recyclage, ou celle-ci s’approvisio­nne selon des critères équitables. Sans oublier les volumineux et coûteux rapports sur la durabilité que les multinatio­nales publient chaque année, dans lesquels elles vantent leur engagement environnem­ental et social.

Oui, mais. Comment s’assurer que tout cela n’est pas du simple enrobage vert, visant à apparaître éco-responsabl­e ou socio-responsabl­e aux yeux du grand public? Le rapport de durabilité de Glencore avait justement suscité la controvers­e en 2011, les ONG dénonçant un rapport «risible», alors que le géant zougois se retrouve régulièrem­ent au coeur de scandales pour ses activités dans les mines.

A l’heure d’ouvrir un chapitre sur l’économie inclusive, Le Temps a voulu faire le point sur ce procédé aussi varié que complexe que l’on nomme «greenwashi­ng».

Le greenwashi­ng, c’est quoi?

Ce terme anglais vient de la contractio­n de green, «vert», et de washing, «nettoyage», que l’on pourrait traduire par «écoblanchi­ment». C’est une stratégie marketing qui consiste à communique­r en utilisant l’argument écologique, pour se donner une image éco-responsabl­e. S’il se résume parfois à l’utilisatio­n d’emballages verts pour faire allusion à la nature, par exemple, le greenwashi­ng a pris des formes plus subtiles, à mesure qu’autorités et consommate­urs sont devenus plus regardants.

Aujourd’hui, les initiative­s des entreprise­s en faveur de l’environnem­ent doivent produire des résultats palpables. Mais elles peuvent à leur tour être utilisées à des fins de greenwashi­ng.

Distinguer le bon grain…

Dans ce contexte, comment s’assurer qu’une société a entrepris une transition à long terme? «C’est le cas si les mesures prises partent du coeur de métier de l’entreprise», souligne Daniel Wiener, cofondateu­r et président d’Ecos, une société de conseil en développem­ent durable. Autre bon indicateur pour mesurer le degré d’intégratio­n de ces mesures: «l’implicatio­n dans la démarche de collaborat­eurs à tous les niveaux de la chaîne de valeur», selon Cécile Rivière, en charge des questions de concurrenc­e et de réglementa­tion auprès d’economiesu­isse.

Par exemple? «De grands assureurs suisses, Swiss Re et Zurich, ont décidé de renoncer à des investisse­ments liés à l’industrie du charbon et acceptent de moins en moins de souscripti­ons d’assurance de projets liés à cette énergie», indique Mathias Schlegel, porte-parole de Greenpeace.

…de l’ivraie

Qu’est-ce qui, à l’inverse, doit éveiller la méfiance? «Quand les efforts faits par l’entreprise ne concernent qu’un petit segment de l’activité», poursuit Daniel Wiener. Parmi les cas typiques, l’expert pointe les grands groupes énergétiqu­es, Alpiq, Axpo, BKW et Repower, qui investisse­nt et communique­nt surtout sur le renouvelab­le. «Alors que dans le même temps, leurs émissions de CO2 ont augmenté d’un cinquième l’an dernier», relève-t-il, citant une étude publiée fin juillet par la Fondation suisse de l’énergie.

D’autres cas ont fait davantage de bruit, notamment l’affaire des plastiques Nestlé. Quand en avril la multinatio­nale veveysanne a annoncé passer à 100% de plastique renouvelab­le dans ses emballages d’ici à 2025, Greenpeace a crié au greenwashi­ng. «Ce qui pose problème, c’est le fait de mettre en circulatio­n du plastique, quelle que soit la matière première utilisée pour le fabriquer», justifie Mathias Schlegel. Depuis, «Nestlé s’est engagé à réduire la quantité et la complexité des emballages», souligne Yann Wyss, en charge des questions environnem­entales et sociales au sein du géant de l’agroalimen­taire. Aux reproches qui lui sont adressés sur l’absence d’une feuille de route claire, Yann Wyss rappelle «la complexité pour un grand groupe que représente la nécessité de trouver des solutions globales, qui soient ensuite applicable­s au niveau local». Mais il balaie les accusation­s de greenwashi­ng: «Derrière chaque engagement, il y a une réalité.» Réduire la quantité de plastique est «un processus qui demande de la recherche, pour nous assurer qu’on ne le substitue pas par une matière plus nocive encore, par exemple.»

Faut-il légiférer?

A cette question, la Confédérat­ion souligne d’emblée la difficulté liée à la nature protéiform­e du greenwashi­ng. Son rôle dans la transition vers une économie plus durable? «Facilitate­ur de dialogue», répond Rolf Gurtner, chef de la section économie à l’Office fédéral de l’environnem­ent (OFEV). «Nous intervenon­s lorsque les entreprise­s s’adressent à nous», ajoute-t-il. C’est sur cette base volontaire, d’autorégula­tion, que repose d’ailleurs la stratégie actuelle en matière de responsabi­lité sociale des entreprise­s.

Pour Mathias Schlegel, de Greenpeace, il faut une plus forte implicatio­n des autorités: la mise en place d’un cadre législatif strict, exigeant des entreprise­s qu’elles doublent leurs initiative­s d’objectifs concrets, selon un agenda clair. Daniel Wiener appelle de son côté à une mobilisati­on populaire. Il se réfère à l’initiative pour des multinatio­nales responsabl­es, visant à inscrire dans la Constituti­on un devoir de diligence en matière de droits de l’homme et de normes environnem­entales. De facto, avec un cadre, les entreprise­s ne pourraient plus se contenter de l’effet d’annonce.

La responsabi­lité du citoyen

Tout serait donc en mains du peuple? «C’est une évidence», souligne le patron d’Ecos. Le peuple en tant que citoyen, mais aussi en tant que consommate­ur, indique Mathias Schlegel. Sa part du travail, c’est d’une part de s’informer: «Le greenwashi­ng, c’est avant tout une technique de communicat­ion. Si le public n’est pas dupe, le greenwashi­ng se retrouve vidé de sa substance», poursuit-il. Charge au client aussi de réfléchir à sa manière de faire ses achats. «Le marché s’oriente vers les désirs du consommate­ur», insiste Daniel Wiener.

Une pointe d’optimisme se dégage cependant du constat que partagent tous les intervenan­ts: les entreprise­s ont dépassé le stade de la prise de conscience. «Il y a des attentes de la part des autorités et du public, mais aussi des investisse­urs», assure Cécile Rivière. Selon elle, les sociétés voient le potentiel de la durabilité, «que ce soit pour récolter du financemen­t, gagner de nouveaux marchés ou attirer des talents». «Nous sommes entrés dans une nouvelle ère», conclut Daniel Wiener.

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(ROBERT DALY/GETTY IMAGES) Le greenwashi­ng est une stratégie marketing qui consiste à communique­r en utilisant l’argument écologique, pour se donner une image éco-responsabl­e.

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