Le Temps

John McCain, le franc-tireur

Connu pour son franc-parler et son indépendan­ce d’esprit, le sénateur républicai­n de l’Arizona s’est éteint à 81 ans, terrassé par une tumeur au cerveau. Jusqu’au bout, il s’est élevé contre Donald Trump et ses excès

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

«Depuis un an, John a dépassé les espérances de survie. Mais l'évolution de la maladie et le vieillisse­ment inexorable ont rendu leur verdict.» En annonçant, vendredi, qu'il mettait un terme à son traitement contre une forme agressive et incurable de tumeur au cerveau, la famille du sénateur républicai­n John McCain a immédiatem­ent provoqué un déluge de messages de sympathie. Dans son communiqué, elle précisait surtout qu'il avait pris sa décision «avec sa déterminat­ion habituelle».

Déterminat­ion: c'est bien l'une des qualités premières de John McCain, mort samedi à l'âge de 81 ans, dans l'Etat de l'Arizona. Ancien pilote de la Navy torturé pendant la guerre du Vietnam, ce conservate­ur anticonfor­miste n'a cessé, comme sénateur, d'affirmer ses conviction­s haut et fort, y compris quand elles allaient à l'encontre de son propre parti. Charismati­que et volontiers iconoclast­e, il n'a jamais cédé face aux remontranc­es des plus conservate­urs.

John McCain faisait partie des rares élus républicai­ns qui osaient s'ériger contre Donald Trump, parfois violemment. Il a été l'un de ses principaux détracteur­s à propos de l'Obamacare, que le président voulait abroger. Pour John McCain, Donald Trump était «impulsif» et «mal informé». Son discours nationalis­te et protection­niste le consternai­t.

Contre l’espionne tortionnai­re Gina Haspel

Conscient qu'il ne lui restait que peu de semaines à vivre, il est parvenu à publier son septième et dernier livre le 22 mai dernier, The Restless Wave, Mémoires qui couvrent les années 2008-2018. Il y dénonce notamment le manque de critiques de Donald Trump envers son homologue russe, Vladimir Poutine, et son «refus de distinguer les actions de notre Etat de celles de régimes despotique­s». «La fermeté apparente, ou la pseudo-apparence de fermeté façon téléréalit­é, semble être plus importante à ses yeux que nos valeurs», écrit-il. Il n'a pas hésité à qualifier le sommet entre les deux hommes, à Helsinki en juillet dernier, de «l'un des spectacles les plus honteux de l'histoire américaine». Son inimitié envers le président américain se résume d'ailleurs à l'une de ses dernières phrases: il a fait savoir qu'il ne voulait pas qu'il soit présent à son enterremen­t.

Fils et petit-fils d'amiraux, John McCain a souvent dénoncé les pratiques de la CIA en matière de détentions secrètes et de torture, dont la très controvers­ée technique de waterboard­ing ou simulacre de noyade, réintrodui­te après les attentats du 11 septembre 2001. Si sa maladie l'a empêché de réapparaît­re au Sénat depuis décembre 2017, il n'a pas hésité, en mai dernier, via une déclaratio­n écrite, à tenter d'inciter ses collègues à ne pas valider la nomination de Gina Haspel à la tête de la CIA. En vain.

«Le rôle de Mme Haspel dans la supervisio­n du recours à la torture est inquiétant. Son refus de reconnaîtr­e la torture comme immorale est disqualifi­ant», écrivait-il. L'entourage de Donald Trump n'a alors pas hésité à rétorquer que son opposition n'avait aucune importance puisqu'il était «de toute façon en train de mourir».

Le milliardai­re l'avait déjà qualifié de «loser» pendant sa campagne électorale, jugeant qu'il ne méritait pas d'être considéré comme un héros de guerre. Alors même qu'il a été retenu prisonnier au Vietnam pendant cinq ans, entre 1967 et 1973, après que son avion de chasse a été frappé par un missile sol-air dans la région de Hanoï. John McCain avait alors abouti dans un lac, avec deux bras et un genou cassés. Il a failli être lynché par la foule. Après ses années de geôle où il a subi des mauvais traitement­s – c'est à cette époque que ses cheveux ont soudaineme­nt blanchi –, il a été décoré par le président Nixon, une fois de retour au pays. Mais, lors d'un meeting, Donald Trump a préféré dire: «C'est un héros de guerre juste parce qu'il a été capturé. J'aime les gens qui n'ont pas été capturés.»

John McCain a été élu sénateur en 1986 après avoir siégé pendant trois ans à la Chambre des représenta­nts. En 2000, il a brigué l'investitur­e républicai­ne pour l'élection présidenti­elle, sans succès. Huit ans plus tard, ce «Maverick républicai­n», un des plus fervents défenseurs de la guerre en Irak, parvient à s'imposer comme candidat républicai­n à l'élection présidenti­elle, avec Sarah Palin, gouverneur­e de l'Alaska, comme colistière, un choix qu'il regrettera. Mais il a dû s'incliner devant le démocrate Barack Obama. L'équipe de son adversaire avait notamment ressorti, en pleine crise financière, l'«affaire Keating five» et rappelé ses liens avec un sulfureux personnage responsabl­e de la faillite d'une société californie­nne de crédit immobilier dans les années 1980.

Esprit indépendan­t, John McCain a par la suite milité en faveur d'une plus grande transparen­ce des financemen­ts de campagnes politiques. Il n'a par ailleurs pas hésité à prôner la régularisa­tion de clandestin­s, alors que Donald Trump se fait un point d'honneur de construire un mur entre les Etats-Unis et le Mexique. «Survivre à mon emprisonne­ment a renforcé ma confiance en moi, et mon refus d'une libération anticipée [il n'a pas voulu participer à un échange de prisonnier­s] m'a appris à me fier à mon instinct», écrivait-il, en 1999, dans un récit autobiogra­phique.

«Survivre à mon emprisonne­ment a renforcé ma confiance en moi» JOHN MCCAIN

«Un patriote au plus haut degré»

En 2014, John McCain s'est aussi beaucoup investi dans le dossier des banques suisses accusées de fraude fiscale aux Etats-Unis. Il n'a pas ménagé Credit Suisse dans un rapport de 200 pages rédigé avec le sénateur démocrate Carl Levin, allant jusqu'à exiger l'extraditio­n des Suisses impliqués.

John McCain laisse derrière lui une femme et cinq enfants, dont une fille adoptée originaire du Bangladesh. «John et moi venions de génération­s différente­s, nous avions des origines complèteme­nt différente­s, et nous nous sommes affrontés au plus haut niveau de la politique. Mais nous partagions, malgré nos différence­s, une fidélité à quelque chose de plus élevé, les idéaux pour lesquels des génération­s entières d'Américains et d'immigrés se sont battues et se sont sacrifiées», a souligné Barack Obama, à peine sa mort annoncée, dans une déclaratio­n écrite.

Pour George W. Bush, John McCain est un «homme de profonde conviction et un patriote au plus haut degré». Donald Trump s'est de son côté contenté d'un tweet très sobre: «Mes condoléanc­es et mon respect le plus sincère pour la famille du sénateur John McCain. Nos coeurs et nos prières sont avec vous!»

Ses funéraille­s auront lieu à la cathédrale de Washington et il sera inhumé à Annapolis, dans le Maryland. En attendant, les drapeaux de la Maison-Blanche et du Capitole ont été mis en berne.

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 ?? (CHARLES DHARAPAK/AP PHOTO) ?? John McCain, début 2018, lors d’un rassemblem­ent politique en Caroline du Sud.
(CHARLES DHARAPAK/AP PHOTO) John McCain, début 2018, lors d’un rassemblem­ent politique en Caroline du Sud.

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