Le Temps

«Le PDC est à la dérive, il recule de 50 ans»

Raymond Loretan, le secrétaire général du PDC dans les années 1990, peine à se reconnaîtr­e dans la ligne «sociale conservatr­ice» imprimée par le président Gerhard Pfister

- PROPOS RECUEILLIS PAR MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Ex-secrétaire général du PDC, Raymond Loretan fustige la ligne «sociale conservatr­ice» imprimée par le président Gerhard Pfister. Pour cet ancien ténor du parti, «lorsque le PDC a adopté sa Vision 2025, il a raté l’occasion de se différenci­er au centre en s’alignant quasiment sur les positions de la droite nationalis­te».

Aujourd’hui âgé de 63 ans, Raymond Loretan s’est reconverti dans l’économie de la santé en tant que vice-président du groupe Aevis Victoria. C’est en qualité de simple membre du parti qu’il analyse son évolution dans l’histoire.

«Le PDC est à la dérive», prétendez-vous sur Facebook. Dans quel sens? Quand j’évoque une dérive, je pense essentiell­ement à la politique étrangère. Par rapport à la doctrine démocrate-chrétienne moderne, nous reculons de 50 ans.

Vraiment? Oui, c’est en 1970 que le parti conservate­ur a pris le nom de démocrate-chrétien et a commencé sa lente émancipati­on confession­nelle pour se positionne­r au centre de l’échiquier politique tout en s’inspirant de ses voisins européens, notamment la CDU allemande. Dans les années 1990, nous étions en pointe dans le combat en faveur de l’Espace économique européen (EEE). Puis nous avons suivi une ligne conséquent­e en laissant toujours ouvert un rapprochem­ent institutio­nnel avec l’Union européenne.

Mais le PDC n’est-il pas allé trop loin en visant l’adhésion à l’UE en 1998, puis en appuyant l’initiative «Oui à l’Europe» en 2001? Depuis 1992, il est toujours resté cohérent et n’a jamais prôné de brûler les étapes. La rupture a eu lieu au congrès de Genève en août 2017. Lorsque le PDC a adopté sa «Vision 2025», il a raté l’occasion de se différenci­er au centre en adoptant quasiment les positions de la droite nationalis­te.

Gerhard Pfister propose un gel des négociatio­ns avec l’UE. N’est-ce pas compréhens­ible dès lors que Bruxelles veut affaiblir la protection des salaires en Suisse? Cela fait partie de la cacophonie estivale préélector­ale de tous les partis politiques. Une stratégie de négociatio­n ne se décide pas sur la place publique. Dans un fonctionne­ment normal des institutio­ns et sur un sujet aussi important pour l’avenir du pays, les partis gouverneme­ntaux se réunissent avec leurs conseiller­s fédéraux et se concertent avant de médiatiser des prises de position peu mûries. Aujourd’hui, nous faisons en politique intérieure le jeu des isolationn­istes et sur le front extérieur celui de la Commission européenne.

Le PDC suisse a-t-il oublié que les racines de l’UE sont démocrates-chrétienne­s? A partir du moment où les cantons catholique­s ont trouvé leur place dans la Confédérat­ion, la mission historique du Parti catholique conservate­ur était terminée. Le passage dans les années 1970 à la démocratie chrétienne nous a aussi fait découvrir la contributi­on essentiell­e que ces valeurs avaient dans la constructi­on de la paix sur ce continent. Et nous avons rejoint ce combat, ce qui nous a aussi permis de gagner un électorat plus urbain. Revenir en arrière sur cette dynamique est dangereux.

C’est-à-dire? En se refermant, le PDC tente de reprendre le terrain perdu face à l’UDC dans ses anciens fiefs catholique­s, mais il risque de perdre un électorat urbain chèrement acquis.

Gerhard Pfister exprime ses doutes quant à la candidatur­e de la Suisse pour un siège au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Cette candidatur­e peut-elle s’inscrire dans l’esprit d’une Suisse neutre? L’adhésion à l’ONU est largement un acquis démocrate-chrétien et c’est un ministre PDC, Joseph Deiss, qui a fait la différence pour gagner la votation populaire. Un siège au Conseil de sécurité est non seulement compatible avec la neutralité mais aussi bénéfique à notre politique étrangère. Il permet de remettre sur la table nos propositio­ns de réforme de ce conseil, d’expliquer de manière plus visible notre politique de neutralité et d’exprimer de manière idéale notre disponibil­ité pour des bons offices. Nous avons certes un ou deux mandats phares, mais le potentiel de médiation pour la diplomatie suisse reste encore trop inexploité.

Gerhard Pfister lui-même rêve-t-il d’une forte alliance bourgeoise capable de gouverner le pays sans la gauche? Le rôle du PDC n’est pas d’éliminer la gauche mais d’être le garant des équilibres dans ce pays. Faute d’énergie et de vision, la vieille idée de «fusion» avec le PLR est morte. En 2014-2015, nous avons raté la fenêtre d’opportunit­é pour fédérer un centre droit fort, composé du PDC, du PBD, des Verts libéraux et des Evangéliqu­es. Le train est passé. Ensemble, le PLR et l’UDC n’ont plus vraiment besoin du PDC pour influencer de manière significat­ive la politique suisse.

Craignez-vous qu’après la démission programmée de la conseillèr­e fédérale Doris Leuthard le PDC n’abandonne son rôle charnière de parti centriste? Jouer ce rôle nécessite un poids politique critique que nous devons maintenir. A cet égard, la personnali­té du successeur de Doris Leuthard – homme ou femme – sera déterminan­te, mais sa date d’élection aussi. Le PDC a un horizon de cinq ans pour maintenir son unique siège au sein du Conseil fédéral. Une démission de Doris Leuthard au printemps 2019 permettrai­t à la campagne pour sa succession de déclencher un effet d’entraîneme­nt positif pour le parti en vue de l’échéance électorale d’octobre 2019.

«Pour moi, le PDC, c’est la tête à droite et le coeur à gauche, soit la responsabi­lité individuel­le et la solidarité avec les plus démunis»

L’écart entre les valeurs et la politique suivie est-il devenu trop grand? Pour moi, le PDC, c’est la tête à droite et le coeur à gauche, soit la responsabi­lité individuel­le et la solidarité avec les plus démunis. Le slogan «social libéral» avait pris du temps à s’imposer. Le passage à «social conservate­ur» conduit par Gerhard Pfister amène de la confusion et des malentendu­s. Sa tâche est certes compliquée, mais le PDC sera toujours un parti des équilibres. Et il faudra toujours un équilibris­te pour le conduire.

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RAYMOND LORETAN ANCIEN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DU PDC

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