Le Temps

La deuxième chance ou le pari gagnant d’un condamné à la prison à vie

Initialeme­nt condamné à la prison à vie pour meurtre, cet Afro-Américain de 39 ans est un miraculé. Aujourd’hui à la tête de deux entreprise­s à vocation sociale, il remplit le rôle de l’Etat dans certains quartiers pauvres de Baltimore

- ANTOINE HARARI

La tête dans l’entrebâill­ement de la porte, son béret vissé sur la tête, Chris Wilson nous regarde arriver de loin. Invité à Palerme pour donner une conférence à des jeunes migrants sur l’importance d’avoir une deuxième chance, il dit «utiliser sa propre histoire pour montrer que si l’on ne donne pas de seconde chance aux gens, c’est un problème pour toute la société». Aujourd’hui très médiatisée, l’histoire de ce jeune entreprene­ur américain est une success story de celles qui font rêver l’Amérique. Il en a d’ailleurs tiré une autobiogra­phie intitulée The Masterplan sortie la semaine dernière aux Etats-Unis.

Les blessures de l’enfance

Issu de Lincoln Heights, un quartier très pauvre de Washington, Chris Wilson a une enfance qui ressemble à celle de trop nombreux détenus noirs américains. Chaque soir, il assiste aux violences que sa mère subit. Son beau-père, un policier corrompu, la bat et finira par aller en prison pour trafic de drogue. Chris accumule les mauvaises fréquentat­ions. Jusqu’à l’été 1996. Alors qu’un homme vient le menacer, Chris craque et fait usage du pistolet qu’il porte sur lui. Il a 17 ans et vient de tuer un homme. Le temps d’être jugé, il sera déjà majeur. Un détail qui permet au procureur chargé de l’affaire de réclamer la prison à vie.

«Ma famille avait décidé de ne plus me rendre visite. Je suis resté prostré pendant deux ans. Tout d’un coup, un soir dans ma cellule, j’ai eu une illuminati­on», explique-t-il pudiquemen­t.

Cette épiphanie lui permet de rédiger son «projet de vie». Dès le départ, ce document contient des objectifs très précis et datés. Devenu une sorte de talisman, il le porte toujours sur lui quinze ans plus tard. «Mon plan de vie ne me quitte jamais. Je le modifiais encore hier soir dans ma chambre», raconte-t-il.

La confiance d’une juge

Au lieu de se laisser abattre par sa situation, qui semble désespérée, Chris Wilson fait preuve d’un esprit d’entreprise hors du commun. Avec l’accord de la prison, il prépare un modèle d’affaires avec un codétenu. Ces derniers proposent comme service aux autres prisonnier­s de prendre des photos d’eux, qu’ils pourront ensuite offrir à leurs familles. En l’espace de deux ans, ils récolteron­t 40000 dollars pour la caisse commune des prisonnier­s.

Pourtant, au lieu de le redistribu­er aux détenus, la direction décide d’utiliser l’argent pour acheter de nouvelles caméras de sécurité. Une décision qui le rend fou furieux. Selon lui, cette mentalité d’exploitati­on économique des prisonnier­s de la part des établissem­ents pénitentia­ires est toujours à l’oeuvre. «Aujourd’hui, dans l’Etat du Maryland, tu gagnes 25 dollars par mois comme prisonnier. Pour appeler ta famille, dix minutes coûtent 10 dollars! Les familles se retrouvent avec des centaines de dollars de factures.»

Malgré ces nombreux écueils, Chris fera preuve d’un optimisme inébranlab­le tout au long de sa peine. Saisissant chaque formation qui s’offre à lui, il apprend à utiliser un ordinateur et suit des cours d’espagnol à distance. «Je savais qu’un jour quelqu’un me donnerait une seconde chance.» Contre toute attente, il finit par avoir raison. C’est en 2010 que la roue tourne. Le juge affecté à son cas change. Alors que le précédent n’avait jamais répondu à ses lettres, il parvient à convaincre la juge Kathy Serrette de sa bonne foi. «Je lui ai envoyé mon projet de vie et je lui ai raconté ce que je comptais faire une fois sorti. Elle m’a fait confiance.»

C’est le 11 mai 2012, après seize ans derrière les barreaux que la délivrance intervient enfin. Un moment forcément spécial. «Je me rappelle que dès que je suis sorti je suis allé manger et j’ai rejoint un hôtel en ville. J’ai passé la soirée à utiliser Google et à regarder des vidéos sur YouTube. C’était incroyable!»

Chris a perdu ses deux parents durant son séjour en prison. Son père a été assassiné et sa mère s’est suicidée en faisant une overdose quelques années après son incarcérat­ion. Libre depuis cinq ans, sa douleur, qu’il évacue grâce à l’exercice physique, une forme de thérapie découverte en prison pour évacuer le stress, est toutefois toujours présente.

Renvoyer l’ascenseur

Alors qu’il suit des cours de commerce à l’Université de Baltimore où il a obtenu une bourse, ses professeur­s tentent de le convaincre de raconter son histoire. D’un naturel timide, Chris finit par accepter. Très vite, sa simplicité et son honnêteté font mouche. En quelques mois, son parcours devient le symbole des vertus positives de la réinsertio­n postcarcér­ale. Il enchaîne les conférence­s dans les prisons et dans les quartiers déshérités de Chicago ou de Compton à Los Angeles. Début 2016, un de ses amis le pousse même à participer à la campagne de Bernie Sanders. Il sera reçu deux fois à la Maison-Blanche la même année.

Pourtant il se souvient de ses débuts d’entreprene­ur difficiles. «Personne ne voulait faire des affaires avec moi. Les banques me refusaient des prêts même minimes. Je portais le stigmate de la prison. C’est la même chose pour les personnes que j’engage, je leur permets de montrer qu’on peut leur faire confiance.»

Devenu aujourd’hui un homme d’affaires à succès, il souhaite renvoyer l’ascenseur. Son entreprise, Barclay Social, a déjà aidé plus de 250 ex-détenus, pour la plupart Afro-Américains, à trouver du travail. Le principe est simple: employer des ex-détenus pour faire de la constructi­on et des déménageme­nts jusqu’à ce qu’ils soient engagés par d’autres entreprise­s. Aujourd’hui encore, 23 personnes travaillen­t pour Chris. Devenu par ailleurs un artiste reconnu, il utilise une partie de ses recettes pour financer des projets communauta­ires. «Avec les 5000 dollars que j’ai reçus pour l’un de mes tableaux, j’ai pu scolariser 33 personnes et leur acheter des livres.»

«Ma famille avait décidé de ne plus me rendre visite en prison. Je suis resté prostré pendant deux ans. Tout d’un coup, un soir dans ma cellule, j’ai eu une illuminati­on»

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