Une mort planifiée qui soulève de multiples interrogations
Après avoir ouvert un blog au «Temps», Jacqueline Jencquel, Française de 74 ans, justifie sans états d’âme sa volonté de mourir dans des vidéos tournées pour Brut et Konbini. L’aspect à la fois intime et militant de sa démarche interpelle (lire aussi en page 8)
Planifier le jour de sa mort: le choix de Jacqueline Jencquel, 74 ans, choque, irrémédiablement. Elle qui ne souffre d’aucune maladie incurable ou dégénérative souhaite bénéficier d’un suicide assisté en Suisse en janvier 2020. Ce qui interpelle d’autant plus: la médiatisation volontaire de sa démarche. Après avoir entamé un blog sur le site du Temps, la Française a tourné deux vidéos pour Brut et Konbini, qui ont déclenché ce week-end des milliers de réactions, aussi contrastées les unes que les autres.
Pourquoi vouloir cesser de vivre? Celle qui milite pour la légalisation du suicide assisté en France depuis plusieurs années dévoile pléthore d’arguments: l’impression d’avoir fait le tour, la peur de devenir prisonnière de son corps, infantilisée, surmédicalisée, impuissante face à la vieillesse qui progresse inexorablement. Pas question pour elle d’entendre un jour la voix d’une infirmière lui murmurer à son réveil dans un mouroir: «Alors Madame Jencquel, il fait beau aujourd’hui, on est bien.» Elle l’avoue, elle est loin d’en être là, mais la perspective de subir cette inéluctable dégradation la rebute.
Courage d’affronter la mort ou caprice indécent face à ceux qui n’ont vraiment pas le choix: les avis des internautes sont partagés. Certains pointent un témoignage «difficile à entendre», mais «tellement humain». D’autres fustigent une décision «contraire au destin», un «choix cynique», «comble du nihilisme et de l’égoïsme». C’est que la mort reste un tabou. Sans raisons majeures, la vie doit être vécue, presque par défaut. La décréter bonne à jeter sonne comme un affront incongru.
Dans l’interview accordée à Konbini, Jacqueline Jencquel fait voler en éclats cette pudeur. Elle se montre goguenarde, presque vulgaire. C’est sur un ton provocateur qu’elle répond aux questions d’Hugo Clément. «J’ai tout fait», lâche-t-elle, en se qualifiant de «femme libre», lucide, qui refuse de «faire l’amour avec un mec au bide énorme» ou de finir «légume» dans un «plumard». Pimpante, en baskets et ensemble rose poudré, elle toise la caméra, confortablement installée dans un sofa. Lorsque le journaliste lui demande si elle redoute le grand saut, elle rit aux éclats à l’idée de «sucer» des «beaux mecs comme Hugo pour l’éternité» au paradis. Quant à la date précise de sa mort, elle ne résulte que de l’agenda de son médecin, qui rentrera tout juste de vacances.
Malgré ce détachement, cette désagréable trivialité, @Tamagochya prône le libre choix, la tolérance: «Elle sait qu’elle vieillit, que sa santé ne va pas rester bonne, elle souhaite partir avant de subir ces problèmes de vieillesse. Elle a bien vécu et n’a pas de regret. Je la comprends totalement.» Prudente, @sednonsatiata va dans le même sens: «Je m’étonne du nombre de jugements moraux autour de Jacqueline Jencquel, de sa décision, de son discours. Il n’y a rien de plus intime que la mort; de plus mystérieux que le suicide. Nous n’avons pas d’avis à avoir.»
Pour beaucoup, la surexposition médiatique sape toute crédibilité: «Si devancer la mort est son choix, il est intime, elle n’a pas à en faire étalage, la dignité c’est aussi cela.» Là réside tout l’enjeu de ce témoignage hors du commun: l’imbrication entre volonté personnelle et démarche militante. A travers sa mort, Jacqueline Jencquel entend jouer un rôle de porte-voix, faire avancer une cause. En posant un diagnostic définitif sur l’imprévisibilité de la vie, elle ouvre un dilemme éthique, moral et légal sans fond.
▅