Le Temps

A l’heure de la rentrée scolaire, retour sur l’héritage de Françoise Dolto, trente ans après sa mort

La psychanaly­ste et pédopsychi­atre Caroline Eliacheff publie «Une journée particuliè­re». Retour sur l’héritage de Françoise Dolto, trente ans après sa disparitio­n et à l’heure de la rentrée scolaire

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAROLINE STEVAN @CarolineSt­evan

Françoise Dolto. Pour chacun, le nom convoque une image. Celle d’un homard complexé, avatar de l’adolescenc­e en crise. Celle de jeunes enfants désormais écoutés par les adultes. Celle d’une école plus ouverte et moins punitive. Celle d’un chanteur populaire vantant les mérites d’une boisson sucrée. Ou encore celle d’une grand-mère à grandes lunettes et éternels gilets par-dessus la blouse. Associé à un visage rond, ce look l’a parfois réduite à une «Mamie Nova de la psychanaly­se». Françoise Dolto était tout cela à la fois et bien plus.

Pour le rappeler, trente ans presque jour pour jour après sa disparitio­n, la psychanaly­ste et pédopsychi­atre Caroline Eliacheff publie Une journée particuliè­re, aux Editions Flammarion. Prétexte, le déroulé d’une journée fictive permet de mesurer les différents fronts sur lesquels oeuvrait la Parisienne et le bourreau de travail qu’elle était.

Trente ans après sa disparitio­n, quel est le principal héritage légué par Françoise Dolto? Pour parler de son héritage, il faut déjà savoir ce qu’elle a fait. Or beaucoup l’ignorent, y compris ceux qui ont parfois travaillé avec elle, aux

PSYCHANALY­STE «Elle trouvait que l’école gavait les enfants de savoirs et non de connaissan­ces. Selon elle, une mauvaise note ne signifiait pas un mauvais élève»

consultati­ons, à la Maison verte… Ils connaissen­t un pan de son activité mais pas la globalité. Pour les génération­s nées après les années 1980-1990, elle n’évoque plus grand-chose. Les parents d’aujourd’hui lui doivent beaucoup mais sans forcément le savoir. C’est normal et c’est très bien ainsi.

Pour moi, l’apport capital de Françoise Dolto est la Maison verte. Je ne vois pas d’autre psychanaly­ste ayant fondé une institutio­n perdurant après sa mort et avec un tel parfum d’universali­sme. On trouve aujourd’hui des maisons vertes, même si elles n’en portent pas le titre, dans tous les pays, quels que soient les régimes. Il s’y pratique une prévention exceptionn­elle pour les tout-petits. L’idée est de prévenir les séparation­s normales de la vie, comme l’entrée en crèche, la première nuit chez les grands-parents, etc. Ce sont des lieux où l’on accueille parents et enfants de moins de 3 ans ensemble, pour parler. Il ne s’agit ni de soins ni de consultati­ons mais d’une préparatio­n à la suite.

L’école justement. Françoise Dolto a eu des mots très durs, que vous reprenez dans votre ouvrage: «L’école primaire, c’est digestif.» Elle était très critique par rapport à l’école, en tout cas en France. Elle trouvait que les enfants y étaient gavés de savoirs et non de connaissan­ces. Elle déplorait la pression mise sur les enfants pour qu’ils ramènent des bonnes notes. Selon elle, une mauvaise note ne signifiait pas un mauvais élève. Les élèves les plus curieux et les moins discipliné­s étaient peut-être ceux qui s’en sortiraien­t le mieux. Elle essayait d’aider les enfants qui ne supportaie­nt plus l’école en leur expliquant que la maîtresse était payée pour exercer son activité, que c’était un métier et qu’elle n’était pas là pour aimer ou se faire aimer des enfants.

Françoise Dolto a beaucoup travaillé avec une école parallèle, qui avait des principes totalement différents, tout en reconnaiss­ant que toutes les écoles ne pouvaient fonctionne­r comme cela. Ses propres enfants n’étaient pas inscrits dans des écoles parallèles. Elle n’y attachait pas une importance capitale.

Que dire de cette école parallèle, La Neuville, qu’elle a soutenue et «parrainée» depuis ses débuts? Les fondateurs ont mis en place un certain nombre de choses et venaient vérifier la validité de leur vision auprès de Françoise Dolto. Les élèves étaient d’abord les enfants de leur entourage puis ceux adressés par Françoise Dolto ou des juges des enfants car ils ne parvenaien­t pas à s’adapter au système scolaire. Tous étaient internes, dès la maternelle, ce qui n’est pas commun. Les enfants participai­ent à tout, dans une ambiance joyeuse: la préparatio­n des repas, le sport… avec des enseignant­s qui vivaient également sur place. Ceux qui allaient mal se sont mis à aller mieux. Trente ans après, les fondateurs sont en train de transmettr­e le flambeau, la preuve que ce projet est une réussite.

Peut-on dire que l’école actuelle doit beaucoup à Françoise Dolto? Oui évidemment, mais l’on ne peut pas tout mettre sur le dos de Françoise Dolto, le bon ni le mauvais. Il y a eu une crise de l’autorité dans les années 1970 et 1980 dont l’école a été obligée de prendre acte. Il n’était plus possible de continuer à enseigner comme avant par la punition, la peur… On essaie aujourd’hui de voir le potentiel de chaque enfant, de ne pas humilier. Il y a eu à la fois un mouvement autour de l’autorité et de la prise en considérat­ion de l’enfant. Les choses ont beaucoup changé et Françoise Dolto y est pour quelque chose.

Certains lui ont imputé l’invention de l’enfant-roi, dont souffrent aujourd’hui les professeur­s… C’est oublier le contexte et la crise générale de l’autorité. Mais surtout, c’est lui reprocher l’exact inverse de ce qu’elle disait. En ce sens, c’est un symptôme, mais de quoi? Je crois qu’il y a une rancoeur de certains psychiatre­s ou psychanaly­stes vis-à-vis de Françoise Dolto, qui a osé sortir de son cabinet, qui a popularisé la psychanaly­se, avec son émission de radio notamment et qui a transformé la vision de l’enfant. C’est oublier une partie de sa théorie. Françoise Dolto avait une conception du développem­ent de l’enfant par étapes, assez freudienne, dans laquelle chaque pas devait être marqué par des interdits. Il ne s’agissait certes pas d’humiliatio­n mais il revenait à chaque parent de trouver sa solution.

En outre, pour Françoise Dolto, l’enfant devait rester en périphérie du couple. Il n’y a rien de meilleur pour lui que des parents qui s’aiment, qui ont une vie sexuelle, une vie sociale et une vie profession­nelle.

Dolto, finalement, est assez peu reconnue comme théoricien­ne. En effet et c’est pour cela qu’elle est un peu oubliée aujourd’hui. Elle est peu reconnue comme théoricien­ne car elle est peu enseignée à l’université. La pédopsychi­atrie et la psychanaly­se des enfants d’une manière générale sont peu enseignées; ce sont les parents pauvres de la psychiatri­e et de la psychanaly­se. Françoise Dolto a écrit deux ou trois livres de théorie seulement et ils ne sont pas commodes. Il est plus facile pour les gens de! se cantonner à la clinicienn­e de génie qu’elle était mais quand elle disparaît!…

Caroline Eliacheff, «Une journée particuliè­re», Flammarion, 256 p.

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(ÉCOLE NEUVILLE) Françoise Dolto a soutenu depuis sa création une école parallèle, La Neuville, dont le fonctionne­ment et la pédagogie iconoclast­es se sont avérés particuliè­rement bénéfiques pour des enfants en rupture avec le système scolaire traditionn­el.
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CAROLINE ELIACHEFF

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