Le Temps

Le pape François dans la tourmente

Un ancien ambassadeu­r du Vatican accuse le pape d’avoir protégé un cardinal accusé de pédophilie et réclame sa démission. Une attaque qui cache une féroce lutte de pouvoir au sein de l’Eglise catholique

- ANTONINO GALOFARO, ROME @ToniGalofa­ro

Un prélat accuse le pape d’avoir couvert un cardinal américain pédophile. Mais cette affaire cache une lutte de pouvoir au sein de l’Eglise. Par ailleurs, les propos de François mêlant psychiatri­e et homosexual­ité des enfants, corrigés par la suite, ont soulevé une vive polémique.

La demande de pardon de François aux victimes d’abus commis dans l’Eglise irlandaise est inaudible. Ses paroles, lors de la messe de clôture de la rencontre mondiale des familles dimanche à Dublin, se noient dans de violentes accusation­s. Le même jour, l’ancien nonce apostoliqu­e à Washington, l’archevêque Carlo Maria Vigano, a écrit que le pontife était au courant d’abus sexuels commis par un cardinal américain. «Je ne dirai pas un mot à ce propos», a répondu le pape lors d’une conférence de presse le soir même dans l’avion le ramenant à Rome.

Selon l’ancien ambassadeu­r, le Saint-Siège était informé des agissement­s de l’archevêque émérite de Washington, le cardinal Theodore McCarrick, depuis le début des années 2000 déjà et François, dès les premiers mois suivant son élection en mars 2013. Le pontife avait accepté fin juillet la démission du cardinal américain, le suspendant de «l’exercice de quelconque ministère public» et l’obligeant à «résider dans une maison qui lui sera indiquée, pour une vie de prière et de pénitence». L’homme de 88 ans est accusé d’abus sexuels sur des mineurs et des adultes séminarist­es sur une période couvrant plusieurs décennies.

Le pape François cherche depuis des mois à contenir l’explosion de scandales de pédophilie au sommet de l’Eglise. Plusieurs affaires sont en train de ternir son pontificat. L’un de ses plus proches collaborat­eurs, le cardinal George Pell, préfet du Secrétaria­t pour l’économie du Vatican, doit par exemple être jugé en Australie pour des agressions sexuelles remontant aux années 1970 et 1990. Il a été formelleme­nt inculpé en mai dernier. L’ancien archevêque de Sydney et de Melbourne plaide non coupable.

George Pell avait été choisi par François comme l’un des membres du conseil de neuf cardinaux chargés de l’aider dans la réforme de la Curie et d’autres dicastères. Mais en 2017, il avait pris congé de ses fonctions pour rentrer dans son pays et faire face à ces accusation­s. Le cardinal George Pell est le plus haut représenta­nt de la hiérarchie de l’Eglise à être poursuivi pour agressions sexuelles.

«Graves erreurs» reconnues

Une autre affaire sur un autre continent empoisonne dans le même temps le pontificat de François. Ce dernier reconnaît en avril avoir commis de «graves erreurs dans l’évaluation et la perception» de la situation au Chili, où il s’est rendu fin janvier. Il avait alors défendu un évêque soupçonné d’avoir couvert les crimes commis par un prêtre, demandant aux victimes présumées les preuves de ce qu’elles avançaient. Il leur avait ensuite demandé pardon et avait dépêché sur place un enquêteur.

La question de la responsabi­lité des évêques couvrant des agresseurs et des pédophiles a alors été posée. Comme encore en cette fin de semaine en Irlande. Marie Collins, victime irlandaise d’un prêtre pédophile lorsqu’elle avait 13 ans, a expliqué que le pape n’est pas favorable à la création de nouveaux tribunaux d’enquête au Vatican sur la question des abus, en particulie­r pour les évêques. Pour François, cette option n’est pas «praticable ni pratique».

Le pape argentin ne cesse de se défendre et de réagir aux scandales naissant partout dans le monde, sans réussir à prendre le contrôle. Marie Collins avait ainsi démissionn­é de la Commission pontifical­e pour la protection des mineurs créée en 2014 par François. Elle dénonçait le «manque de coopératio­n» de la Curie romaine, le gouverneme­nt de l’Eglise. Cette commission est depuis restée discrète.

L’archevêque Carlo Maria Vigano tient l’homosexual­ité comme responsabl­e des abus dans l’Eglise

Le principe de tolérance zéro

Le pontife argentin est rentré à Rome dimanche soir avec la certitude de revoir bientôt cette ancienne victime, après l’avoir rencontrée samedi avec sept autres victimes d’abus sexuels en Irlande. Mais il rentre un peu plus fragilisé. Une semaine après avoir rédigé une «lettre au peuple de Dieu» pour répondre aux inquiétude­s des fidèles à la suite d’une enquête en Pennsylvan­ie, aux Etats-Unis, révélant les abus sexuels de quelque 300 prêtres sur près d’un millier de mineurs, il se voit… poussé à la démission.

L’archevêque Carlo Maria Vigano lui demande en effet de «reconnaîtr­e ses erreurs» et, «par cohérence avec son principe de tolérance zéro», l’exhorte à «démissionn­er» pour «donner le bon exemple aux cardinaux et aux évêques ayant couvert les abus de McCarrick». Par son silence, le pape vise à ne pas alimenter davantage ce qui apparaît comme une féroce lutte de pouvoir au sein de l’Eglise. L’ancien nonce apostoliqu­e représente l’aide traditiona­liste qui s’oppose depuis toujours au pape argentin. Après avoir gardé le silence depuis le début du pontificat, le prélat publie sa lettre au moment où François semble le plus fragile.

Et alors que le pape tient des paroles à nouveau positives sur les homosexuel­s, l’archevêque tient cette orientatio­n sexuelle comme responsabl­e des abus dans l’Eglise. S’en prenant à des hommes proches de François appartenan­t à un prétendu «courant pro-homosexual­ité, favorable à subvertir la doctrine catholique», il utilise l’affaire McCarrick comme prétexte pour «dénoncer la gravité du comporteme­nt homosexuel» et affirmer vouloir «éradiquer les réseaux homosexuel­s existants dans l’Eglise» qui «écrasent des victimes innocentes, des vocations sacerdotal­es et sont en train d’étrangler l’Eglise tout entière».

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(GREGORIO BORGIA/AP) Le Vatican corrige une déclaratio­n du pape Le pape lors de la conférence de presse de dimanche, dans l’avion qui le ramenait d’Irlande.

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