Le Temps

«On a pris quinze ans de retard dans ces questions»

- DIRECTRICE DU SWISS CYBERSECUR­ITY GROUP PROPOS RECUEILLIS PAR C. F.

Les réseaux sociaux affirment vouloir améliorer leur fonctionne­ment, pourquoi maintenant?

Ce qui a changé, c’est la prise de conscience du grand public. La manipulati­on de l’informatio­n et de l’opinion, la propagande ont toujours existé, mais la mondialisa­tion des réseaux, le développem­ent des moteurs de recherche qui permettent d’accéder à toutes sortes de contenus, des messagerie­s et plateforme­s d’échanges disponible­s en permanence pour tous donnent une nouvelle ampleur à ces problèmes. On a tardé à apprécier le fait que les réseaux sociaux ne sont pas là que pour nous connecter entre amis, et partager des petits chatons qui dansent.

Ces entreprise­s semblent arriver à une phase de maturité et disent vouloir prendre leurs responsabi­lités… S’agit-il de maturité, d’opportunit­é de marketing ou de besoin de redorer un blason terni par des affaires? Laisserons-nous des supra-pouvoirs de contrôle et de censure à des fournisseu­rs de services et d’infrastruc­tures, qui seuls vont décider de ce qui est bien ou mal, imposer des normes sociales et de normalisat­ion du discours? Ces entreprise­s à volonté hégémoniqu­e peuvent contrôler les contenus, les identités, les localisati­ons, les accès, le stockage, les traitement­s, sans que personne ne les contrôle! Elles imposent leurs règles du jeu, nous les acceptons docilement en utilisant sans exigences leurs services qui nous dépossèden­t de nos données.

Nous suivons le courant de l’économie du numérique sans opposer de résistance, sans y mettre de limites. Les injonction­s d’innovation proviennen­t en grande partie de ces acteurs. Comment les politiques à un niveau national peuvent-ils contribuer à réguler un outil dont la société et eux-mêmes sont devenus

«Laisserons-nous les réseaux sociaux imposer des normes sociales et de normalisat­ion du discours?»

dépendants, et cela à l’échelle internatio­nale? On a pris plus de quinze ans de retard pour entendre ces questions…

Vous ne croyez pas une seconde aux modérateur­s de contenus… Ces milliers de nouveaux employés seront formatés à la pensée unique de Facebook, ce seront les nouveaux censeurs du Net qui pourront fournir des contre-discours «politiquem­ent corrects» selon les intérêts qu’ils défendent, sans garantie. On ne connaît ni leurs compétence­s, ni leur diversité de profils, d’origines ou de sexes. Pourquoi ne pas envisager que des contrats de contrôle de contenus soient passés avec des journaux du monde entier, pluricultu­rels, d’expertises et de lignes éditoriale­s différente­s? Il faut redonner du pouvoir à la diversité et à la société civile.

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SOLANGE GHERNAOUTI

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