Le Temps

Mort planifiée: une inquiétant­e mise en scène du suicide

- DR SC. MÉLINA ANDRONICOS MEMBRE DU GROUPE ROMAND DE PRÉVENTION DU SUICIDE DR LAURENT MICHAUD MEMBRE DU GROUPE ROMAND DE PRÉVENTION DU SUICIDE

La lecture de l'article «Mourir encore belle, l'an prochain» nous a questionné­s et inquiétés en tant qu'acteurs en prévention du suicide.

Dans les témoignage­s des personnes suicidées ou suicidaire­s, mettre fin à ses jours est avant tout un moyen d'échapper à une souffrance intolérabl­e. Cette souffrance peut être en lien avec des facteurs sociaux, culturels, voire existentie­ls mais, dans la très grande majorité des cas, elle découle d'un trouble de santé mentale, généraleme­nt accessible à une prise en soins. A travers un choix individuel, l'article met en avant une vision pessimiste de l'âge avancé et médiatise le suicide comme un choix «facile», «acceptable», «hygiénique» et «salutogène» pour la société, permettant de fuir la vieillesse, la maladie ou même l'ennui (absence d'émotion).

Si nous comprenons et respectons les positionne­ments personnels de chacun, nous sommes préoccupés des effets possibles d'une telle approche de ce sujet complexe auprès du public et, pour ce cas particulie­r, auprès des personnes âgées et, ou, atteintes de maladies. La personne interrogée présuppose «qu'un suicide coûte moins cher qu'une place en EMS ou qu'une chimiothér­apie»; quel est le prix d'une relation d'une petite-fille ou d'un petit-fils avec sa grand-mère ou son grandpère? Quel est le prix de la vie d'une personne ayant survécu à son cancer? Evoquer ainsi cette question du «prix» nous semble particuliè­rement délétère, tant il est vrai que les considérat­ions économique­s peuvent contribuer à ce que les personnes âgées ou malades se sentent un fardeau pour la société. Le suicide est un acte intime et le fait d'en parler, y compris par médias interposés, peut être un cri d'alerte face à une angoisse de mort, la réaction à une perte de désir ou de sens à l'existence. Dans l'approche proposée ici, nous craignons que journal et lecteurs ne cautionnen­t involontai­rement le suicide dans une fonction de délivrance face à l'ennui et ne le réduisent à la simple expression d'une liberté individuel­le.

Nous déplorons par ailleurs les indication­s concrètes relatives à la manière de se suicider, qui peuvent entraîner un phénomène d'imitation (effet Werther). Du fait de leur souffrance psychique intense, les personnes suicidaire­s sont particuliè­rement vulnérable­s et réceptives à ce phénomène, auquel les directives du Conseil suisse de la presse rendent d'ailleurs attentif: «Afin d'éviter les risques de suicide par imitation, les journalist­es renoncent à des indication­s précises et détaillées sur les méthodes et les produits utilisés».

Le suicide est l'affaire de tous et chacun de nous peut être acteur de sa prévention; par nos actions et discours, nous pouvons y contribuer. Changer notre regard sur la santé mentale redonnerai­t une place à la souffrance psychique facilitant ainsi l'acceptabil­ité face à la demande d'aide. Pour prévenir le suicide, il est primordial de mener des campagnes sur les difficulté­s psychologi­ques, de rendre accessible­s et faciles les dépistages de troubles de santé mentale et de sécuriser les lieux à risque. Offrir des soins individual­isés et adaptés à chacun ainsi que des lieux de soins non stigmatisa­nts, rassurants, où l'individu peut aussi bien aborder ses problèmes sociaux, profession­nels, que ses troubles physiques et psychiatri­ques, est également un élément essentiel à ces efforts de prévention. Parallèlem­ent à leur premier devoir d'informatio­n, les médias jouent un rôle important par leurs choix rédactionn­els qui, loin de devoir éviter le sujet, peuvent le traiter en donnant la parole à des personnes ayant surmonté le suicide ou s'engageant en faveur de la prévention.

Nous craignons que journal et lecteurs ne cautionnen­t involontai­rement le suicide dans une fonction de délivrance face à l’ennui

En cas de détresse psychologi­que, ne restez pas seul! Vous pouvez faire appel à vos proches, et (ou) à différente­s lignes téléphoniq­ues ou institutio­ns de votre région.

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