Le Temps

Les chefs de parti sont-ils des girouettes?

- FRANÇOIS NORDMANN

Dans le psychodram­e qui s’est déroulé cet été autour de la question des relations avec l’Union européenne, la palme de l’inconstanc­e revient aux chefs des trois partis PLR, PS et PDC. Pendant toute l'année 2017, ils plaidaient pour un renvoi de l'accord institutio­nnel au lendemain des élections fédérales, soit à l'année 2020. Puis au début de l'année 2018, ils se sont ravisés. Le 6 janvier, Christian Levrat a battu sa coulpe en confessant une erreur d'appréciati­on: le président du PS voyait maintenant qu'il fallait conclure la négociatio­n au cours de l'année qui débutait. Un mois plus tard, il félicitait publiqueme­nt et non sans malice Petra Gössi, la présidente du PLR, pour être parvenue à rassembler son groupe de parlementa­ires fédéraux derrière le nouveau ministre des Affaires étrangères et l'échéance de fin 2018.

Le groupe PLR avait tenu conclave à Versoix les 2 et 3 février pour formaliser son ralliement à la ligne suivie par le conseiller fédéral Ignazio Cassis, issu de ses rangs. L'assemblée des délégués PLR a ratifié cette position le 23 juin à Airolo. Le PDC était moins affirmatif, plus sceptique, sans s'opposer ouvertemen­t au délai proposé, et tout en insistant pour que l'on ne sacrifie pas la substance au calendrier.

Il est vrai que le conseiller fédéral Cassis ne paraissait pas habité d’une profonde conviction en défendant la position du Conseil fédéral, faisant montre d’un fatalisme confinant à la désinvoltu­re. Que sera sera: ou ça passe ou ça casse, ça jouera ou ça ne jouera pas. Ce demi-engagement, le refus de prendre clairement position, de présenter en détail les avantages d'un accord et les risques d'un échec de la négociatio­n, les ballons d'essai vite lancés et tout aussi vite rattrapés à travers les lignes rouges ont agacé les partenaire­s de la Suisse et provoqué l'opinion publique suisse. Le summum de la confusion a été atteint lors de la conférence de presse du 4 juillet au cours de laquelle le ministre affirmait littéralem­ent tout et son contraire.

Mais les partis ne peuvent justifier leur nouveau revirement au début du mois d’août par la faiblesse de leur champion au gouverneme­nt. L'Union syndicale refusant de négocier tout assoupliss­ement desdites mesures d'accompagne­ment, les trois chefs de parti en ont aussitôt tiré prétexte pour réclamer la fin de l'exercice et le retour à l'attentisme qui prévalait dans leurs rangs l'an dernier. La peur d'affronter l'UDC sur le terrain de la primauté du droit internatio­nal, objet du scrutin fédéral de novembre, la proximité des élections fédérales, la mobilisati­on trop partielle des milieux de l'économie en faveur de l'accord institutio­nnel ont fait tourner le vent.

Le Conseil fédéral ne peut pourtant pas virer de bord aussi facilement. Il s'est engagé en connaissan­ce de cause et en toute lucidité dans la recherche d'un accord institutio­nnel qui apporte à la Suisse des avantages importants – sécurité du droit, développem­ent ultérieur d'accords sectoriels, poursuite de la coopératio­n avec l'Union européenne. Certes, cela suppose des concession­s et une certaine prise de risque.

Il convient maintenant d’examiner soigneusem­ent le rapport dont le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a été chargé pour définir les marges de manoeuvre qui existent autour des mesures d'accompagne­ment, afin de les rendre compatible­s avec le nouveau droit européen relatif aux travailleu­rs détachés. Sur cette base le Conseil fédéral doit poursuivre la négociatio­n et placer le parlement devant ses responsabi­lités. La crédibilit­é internatio­nale du gouverneme­nt est en jeu: interrompr­e les négociatio­ns parce qu'il n'y aurait plus aujourd'hui de majorité théorique en faveur de l'accord n'est pas une option. C'est sur la base d'un texte paraphé par les négociateu­rs que le Conseil fédéral devra saisir le parlement d'un message ou décider le cas échéant d'y renoncer. Les sautes d'humeur des chefs de parti ne sauraient déterminer la ligne gouverneme­ntale.

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