Les chefs de parti sont-ils des girouettes?
Dans le psychodrame qui s’est déroulé cet été autour de la question des relations avec l’Union européenne, la palme de l’inconstance revient aux chefs des trois partis PLR, PS et PDC. Pendant toute l'année 2017, ils plaidaient pour un renvoi de l'accord institutionnel au lendemain des élections fédérales, soit à l'année 2020. Puis au début de l'année 2018, ils se sont ravisés. Le 6 janvier, Christian Levrat a battu sa coulpe en confessant une erreur d'appréciation: le président du PS voyait maintenant qu'il fallait conclure la négociation au cours de l'année qui débutait. Un mois plus tard, il félicitait publiquement et non sans malice Petra Gössi, la présidente du PLR, pour être parvenue à rassembler son groupe de parlementaires fédéraux derrière le nouveau ministre des Affaires étrangères et l'échéance de fin 2018.
Le groupe PLR avait tenu conclave à Versoix les 2 et 3 février pour formaliser son ralliement à la ligne suivie par le conseiller fédéral Ignazio Cassis, issu de ses rangs. L'assemblée des délégués PLR a ratifié cette position le 23 juin à Airolo. Le PDC était moins affirmatif, plus sceptique, sans s'opposer ouvertement au délai proposé, et tout en insistant pour que l'on ne sacrifie pas la substance au calendrier.
Il est vrai que le conseiller fédéral Cassis ne paraissait pas habité d’une profonde conviction en défendant la position du Conseil fédéral, faisant montre d’un fatalisme confinant à la désinvolture. Que sera sera: ou ça passe ou ça casse, ça jouera ou ça ne jouera pas. Ce demi-engagement, le refus de prendre clairement position, de présenter en détail les avantages d'un accord et les risques d'un échec de la négociation, les ballons d'essai vite lancés et tout aussi vite rattrapés à travers les lignes rouges ont agacé les partenaires de la Suisse et provoqué l'opinion publique suisse. Le summum de la confusion a été atteint lors de la conférence de presse du 4 juillet au cours de laquelle le ministre affirmait littéralement tout et son contraire.
Mais les partis ne peuvent justifier leur nouveau revirement au début du mois d’août par la faiblesse de leur champion au gouvernement. L'Union syndicale refusant de négocier tout assouplissement desdites mesures d'accompagnement, les trois chefs de parti en ont aussitôt tiré prétexte pour réclamer la fin de l'exercice et le retour à l'attentisme qui prévalait dans leurs rangs l'an dernier. La peur d'affronter l'UDC sur le terrain de la primauté du droit international, objet du scrutin fédéral de novembre, la proximité des élections fédérales, la mobilisation trop partielle des milieux de l'économie en faveur de l'accord institutionnel ont fait tourner le vent.
Le Conseil fédéral ne peut pourtant pas virer de bord aussi facilement. Il s'est engagé en connaissance de cause et en toute lucidité dans la recherche d'un accord institutionnel qui apporte à la Suisse des avantages importants – sécurité du droit, développement ultérieur d'accords sectoriels, poursuite de la coopération avec l'Union européenne. Certes, cela suppose des concessions et une certaine prise de risque.
Il convient maintenant d’examiner soigneusement le rapport dont le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann a été chargé pour définir les marges de manoeuvre qui existent autour des mesures d'accompagnement, afin de les rendre compatibles avec le nouveau droit européen relatif aux travailleurs détachés. Sur cette base le Conseil fédéral doit poursuivre la négociation et placer le parlement devant ses responsabilités. La crédibilité internationale du gouvernement est en jeu: interrompre les négociations parce qu'il n'y aurait plus aujourd'hui de majorité théorique en faveur de l'accord n'est pas une option. C'est sur la base d'un texte paraphé par les négociateurs que le Conseil fédéral devra saisir le parlement d'un message ou décider le cas échéant d'y renoncer. Les sautes d'humeur des chefs de parti ne sauraient déterminer la ligne gouvernementale.
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