François, un pape déstabilisateur
La visite du pape François en Irlande ces jours-ci fournit l'occasion de tenter de dresser un portrait de l'homme et un bilan de son pontificat, aujourd'hui dans sa sixième année.
Pape hors norme, apôtre d'une Eglise servante et pauvre, il multiplie les gestes à la fois simples et forts – visite à des détenus, rapatriement de réfugiés syriens de Lesbos – qui établissent solidement sa grande popularité. Adepte d'une communication directe, il est jugé crédible en raison de l'adéquation entre son discours et les actes qu'il pose.
On peut discerner dans cette forme de communication nouvelle pour l'Eglise la marque du caudillisme latin avec bien entendu la figure de Peron en Argentine. Homme providentiel, le Caudillo s'adresse directement au peuple par-delà les corps intermédiaires. A la tête de l'Eglise, le pape François est certes le serviteur mais un serviteur qui détient le pouvoir; homme autoritaire à la très forte personnalité, il l'exerce effectivement en bousculant, parfois rudement, les cardinaux et la curie romaine.
A titre d'exemple, s'adressant à la curie en 2014, le pape dénonce «cash» les 15 maux dont elle souffre selon lui. Qu'il ait eu raison ou non sur le fond, ce discours aura sans doute été une erreur de management dans la mesure où il s'est mis en froid avec une administration dont il a besoin pour gouverner. De plus, sa communication informelle ne le met pas à l'abri d'erreurs factuelles ou de propos susceptibles d'être déformés par ses interlocuteurs. Si donc certains des espoirs placés en François il y a cinq ans se retrouvent déçus – on peut penser à la réforme de la curie ou la lutte contre la pédophilie cléricale –, sans doute ce discours y est-il pour quelque chose.
A l'instar de ses prédécesseurs, le pape François se réclame de Vatican II mais d'une manière qui désarçonne tant ses partisans que ses adversaires. Là où Benoît XVI s'inscrivait dans la continuité, François entend élargir l'espace non sans créer une certaine incertitude. Deux exemples viennent illustrer cette approche. Tout d'abord, lorsqu'en février dernier, la Conférence épiscopale allemande vote à la majorité la possibilité sous certaines conditions d'admettre le conjoint protestant d'un catholique à la communion, les évêques mis en minorité font appel au Saint-Siège. On pourrait penser qu'un point aussi central de la foi catholique relève effectivement du ministère de Pierre; pourtant, loin de trancher une question qui touche à l'Eglise universelle, le pape a renvoyé les deux camps dos à dos, leur disant en somme «débrouillez-vous».
Ensuite, il y a les Dubia, nom latin pour «doutes», à savoir une lettre que quatre cardinaux ont écrite en vue d'obtenir du pape des éclaircissements au sujet de l'exhortation apostolique Amoris Laetitia. Non seulement la lettre est restée sans réponse mais l'un des quatre, le cardinal Burke, éminent canoniste, s'est vu relégué au poste de cardinal patron de l'Ordre de Malte, tant le pape François ne tolère pas de critiques en public, pas même émanant de ceux-là qu'il a appelés à le faire.
Deux sujets délicats, l'islam et les migrants, viennent cependant introduire une distance entre ce pape populaire et ses fidèles européens.
Si le pape se plaît à souligner tout ce qu'il juge bon dans la spiritualité musulmane, jamais il n'aborde en public la question de l'islam politique. Ainsi, l'an dernier, lors des attentats de Barcelone commis au nom de l'islam, le pape François avait fait part de sa «préoccupation», ce qui paraît tout de même un peu court alors que 15 personnes y ont perdu la vie.
Le deuxième sujet, tout aussi brûlant, est celui de la migration. Fils et petit-fils d'immigrés italiens en Argentine, le pape a résolument pris parti pour les migrants quels qu'ils soient et quelles que soient les circonstances de leur arrivée. Mais l'Argentine où émigrent les Italiens vers 1900 est un pays vide dont la culture sera forgée par ces émigrés. Par contre, en Europe de nos jours, d'aucuns perçoivent les migrants comme étrangers à leur propre culture et civilisation, et même comme une menace. De tout cela, le pape n'a cure, lui qui ne voit le phénomène migratoire qu'exclusivement du point de vue des migrants et jamais de celui des pays d'accueil, sans non plus jamais mentionner les passeurs, les trafiquants voire les esclavagistes qui en tirent parti. A l'heure où en Pologne, en Autriche, en Italie même, tous pays de tradition catholique, des gouvernements ouvertement opposés à la migration ont vu le jour, on peut imaginer qu'une distance durable s'établisse entre ce pape et ces fidèles, qui choisissent de demeurer catholiques mais de ne pas le suivre sur ce point-là.
Homme d'une forte trempe, personnage déconcertant et inclassable, François, sans conteste, détient le pouvoir au sein de l'Eglise mais peut rechigner à prendre les décisions tranchées du ressort de son ministère; avec son air bonhomme, très populaire y compris en dehors de l'Eglise, il se révèle déstabilisateur, voire clivant, en son sein. Là où les fidèles étaient habitués à des certitudes en matière de doctrine comme de morale, François, qui se définit lui-même comme «un peu fourbe» est le premier pape qui conçoive sa mission comme devant créer de l'incertitude. Et que certains prendront pour de la confusion.
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A l’instar de ses prédécesseurs, le pape François se réclame de Vatican II mais d’une manière qui désarçonne tant ses partisans que ses adversaires