Le Temps

Sous nos pieds, une solution pour le climat?

- JULIE SCHUEPBACH @julie_schups

En raison de leur capacité à stocker du carbone, les sols pourraient représente­r une partie de la solution face au dérèglemen­t climatique. Cela passe par une agricultur­e plus durable et respectueu­se de la terre

Le climat qui s’emballe n’est plus l’affaire d’un lointain futur mais une réalité. Entre les records de températur­e, la sécheresse des alpages et les déficits en eau, en Suisse aussi le changement climatique est visible. Face à cette situation, les efforts internatio­naux portent en premier lieu sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre, principale­ment le dioxyde de carbone (CO2). Parallèlem­ent, les experts s’intéressen­t de plus en plus au rôle que pourraient jouer les sols, en raison de leur capacité naturelle à stocker le carbone.

La planète offre trois principaux réservoirs naturels de carbone, capables d’assimiler le CO2 rejeté en excès dans l’atmosphère et de le stocker sur le long terme: les forêts, les océans et les sols. Les premières, qui le captent grâce à la photosynth­èse, sont menacées par l’augmentati­on de la population humaine et les besoins alimentair­es en découlant. Quant aux océans, ils représente­nt le plus grand puits de carbone de la Terre. Mais le processus de captation des gaz par l’eau est incontrôla­ble.

Sols épuisés

Restent donc les sols. «Avec la réduction des émissions, ils offrent, à ce jour, le moyen le plus cohérent et rapide de lutte contre le changement climatique. Ils pourraient contribuer, sur les trois prochaines décennies, à amortir la problémati­que de l’excès d’émission de gaz à effet de serre des êtres humains», estime Pascal Boivin, agronome à la Haute Ecole du paysage, d’ingénierie et d’architectu­re (HEPIA) de Genève et président de l’European Confederat­ion of Soil Science Societies.

Bien que ce processus de stockage de CO2 soit naturel, il n’est efficace que lorsque le sol est sain. En effet, ce mécanisme comprend plusieurs étapes qui dépendent tant de l’état de la végétation que de celui de la biodiversi­té. Premièreme­nt, les feuilles stockent du carbone quand elles poussent. Lorsqu’elles tombent au sol, elles subissent une dégradatio­n par les bactéries, microbes et autres vers de terre.

Cette phase de décomposit­ion de la matière végétale condense les molécules de carbone, qui finissent par se lier aux argiles du sol et à la matière minérale pour former l’humus. «Un sol de qualité est un sol suffisamme­nt riche en matière organique, donc en humus. Il possède une bonne fertilité, des capacités d’épuration et de filtration des eaux et est peu sujet à l’érosion», explique l’agronome.

De nombreux sols sur la Terre sont aujourd’hui déficitair­es en carbone. Un état de fait directemen­t lié aux pratiques agricoles intensives qui les épuisent, brûlant leur matière organique et limitant leur capacité naturelle à stocker le CO2. En effet, la récolte des cultures limite l’apport en matière végétale sujette à la décomposit­ion, et donc la formation d’humus. «Dès les années 50, le système a demandé à l’agricultur­e de produire toujours plus pour toujours moins cher. Les terres ont été exploitées avec des engins de plus en plus lourds et des labours profonds. La perte en matière organique a été compensée par des apports en engrais de synthèse», relève François Füllemann, pédologue et responsabl­e des sols à la direction générale de l’environnem­ent de l’Etat de Vaud. En Suisse, un rapport de l’Office fédéral de l’environnem­ent publié fin 2017 atteste que la quasi-totalité des sols cultivés sont déficitair­es en carbone.

Pourtant, des solutions existent. Selon l’initiative «4 pour 1000» lancée lors de la COP21, un taux de croissance annuel du stock de carbone dans les sols de 0,4% permettrai­t de retirer de l’atmosphère l’équivalent du surplus de CO2 émis par les activités humaines. Pour ce faire, plusieurs recommanda­tions sont données: ne jamais laisser un sol sans couverture végétale, utiliser des techniques de labour moins invasives ou encore favoriser l’apport en matière organique, soit en carbone, avec du compost par exemple.

Une solution ignorée

Cette approche est considérée avec intérêt en Suisse, notamment par le canton de Genève, dans le cadre de son Plan climat 2030, visant à réduire de 1,7 million de tonnes les émissions de carbone. «En faisant évoluer les sols agricoles genevois vers une qualité minimale, ceux-ci offriront une possibilit­é de stockage de 600000 tonnes d’équivalent CO2, ce qui représente 35% des objectifs du Plan climat genevois», dit Pascal Boivin. Dans le canton de Vaud, les surfaces agricoles représente­nt plus de la moitié du territoire et leur capacité d’action pourrait être majeure…

Comment expliquer que cette solution prometteus­e demeure largement ignorée? «La perception des sols est très peu émotionnel­le et le problème méconnu du public. Les solutions impliquent toute la chaîne de production, des pratiques agricoles en passant par l’acceptatio­n du véritable coût de production d’un aliment de qualité, une condition nécessaire pour donner aux agriculteu­rs les moyens d’exploiter la terre de manière durable», indique François Füllemann. Et les experts de conclure que l’agricultur­e durable peut offrir tout à la fois une stratégie pour la préservati­on des sols, le climat et la souveraine­té alimentair­e.

Bien que le processus de stockage de CO2 soit naturel, il n’est efficace que lorsque le sol est sain

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(123RF) Lorsque les végétaux se décomposen­t, le carbone qu’ils ont stocké se lie à l’argile. D’où l’importance de toujours laisser un sol sans couverture végétale.

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