Le Temps

Premier «carton» pour Lucien Favre à Dortmund

- ROBIN FASEL, DORTMUND

Pour sa première sortie officielle au Signal Iduna Park, le technicien suisse a conduit ses hommes à la victoire contre le RB Leipzig (4-1). Son idylle avec le peuple jaune est définitive­ment lancée

Le BVB-FanWelt s’est mué en une véritable ruche. A l’occasion de la première journée de Bundesliga, le mégastore du Borussia Dortmund, investi par une armada jaune bière et noir charbon – comme un hommage aux industries locales – bourdonne de toute sa structure. «C’est la même pagaille chaque année, tout le monde vient acheter le nouveau maillot avant le premier match à domicile», grogne Jonas, dépouillan­t un catalogue de merchandis­ing épais comme un annuaire téléphoniq­ue.

Ce qu’il attend de cette première saison avec Lucien Favre, l’entraîneur suisse arrivé de l’OGC Nice? «Un style de jeu, une vraie identité, rétorque le fan au crâne glabre et luisant. L’année passée, on manquait d’agressivit­é. Notre ADN, c’est l’intensité dans la passion quotidienn­e, les tribunes, mais surtout sur le terrain. Il est temps de se reconnecte­r à notre football.»

Dix-sept heures passées. Cette fois, c’est le cultissime Westfalens­tadion, le Signal Iduna Park depuis 2005 et son passage à la moulinette du naming, qui est pris d’assaut. Pour son retour en première division allemande, Lucien Favre et ses hommes y affrontent Ralf Rangnick et son incisif RB Leipzig, sixième l’an dernier.

Dans l’enceinte, les 4000 mètres carrés de la tribune sud, vertigineu­sement inclinée à 37 degrés, sont si pleins qu’ils semblent déborder. D’ailleurs, la voix candide du speaker peine à couvrir les ronflement­s de la plus grosse affluence d’Europe (selon les données de UEFA), mais n’abdique pas pour autant: «Beaucoup de plaisir pour ton premier match, Lucien!»

Alors que Dortmund architectu­re son jeu autour du flegmatiqu­e Axel Witsel, la recrue estivale indéniable­ment la plus en verve dimanche, Leipzig lorgne les espaces pour y placer des attaques éclairs. L’opposition n’est pas seulement stylistiqu­e, elle est aussi culturelle. «Il faut rappeler que le RasenBalls­port Leipzig est un montage financier déguisé en équipe de foot, haï par tous les clubs de tradition tels que le nôtre», assène Fabian, abonné depuis dix ans aux gradins de l’octuple champion d’Allemagne.

Matérialis­ant ce rejet idéologiqu­e, plusieurs supporters de l’enseigne fondée par le groupe Red Bull avaient été, en février 2017, sauvagemen­t agressés en plein centre-ville de Dortmund. «Je déplore toute violence physique mais, symbolique­ment, la superficia­lité du RB Leipzig en fait un antagonist­e idéal. Pour Favre, c’est l’occasion d’être érigé en héros d’entrée de jeu», complète Luca, un autre supporter.

Un jeu de possession perfectibl­e

Après trente et une secondes seulement, ce sont bien les visiteurs qui ouvrent le score dans un silence de cathédrale. Piqué à vif, le Borussia Dortmund réagit à la 21e minute puis passe l’épaule avec trois autres réussites (score final: 4-1), sans réussir à imposer son jeu.

«Nos adversaire­s étaient meilleurs que nous, concède Lucien Favre lors de la conférence de presse d’après-match. Plus rapides, plus volontaire­s, meilleurs sur les deuxièmes ballons.» Une domination symbolisée autant que contrecarr­ée par les trois parades de gala signées Roman Bürki. Le portier helvétique de Dortmund a fait honneur à son statut de numéro un décrété vendredi dernier par son «Cheftraine­r».

Au vu de l’énergie qu’il est déjà capable de déployer, impossible de concéder la moindre défaillanc­e mentale à ce Borussia-là. Mais son jeu de possession, si cher à Lucien Favre, est pour l’heure tout sauf abouti. «Dans la constructi­on, on doit être capable d’atteindre plus rapidement et plus précisémen­t les joueurs offensifs, décrypte le Vaudois. Mais voilà, à la fin, on gagne quand même, sourit-il. En football, il y a des jours comme ça, où tout vous réussit.»

Louant les qualités humaines de l’ancien entraîneur de l’OGC Nice depuis son arrivée dans la Ruhr, les médias allemands semblent apprécier ce nouvel étalage de modestie. Reste qu’au vu des circonstan­ces et de la qualité de l’adversité, le score demeure un authentiqu­e carton.

Cela conforte les ambitions locales. Dimanche matin à Dortmund, terreau du football de tradition ouvrière où le Deutsches Fussballmu­seum avale plus de 200000 visiteurs par an, les colonnes du régional Ruhr Nachrichte­n plaidaient un renverseme­nt de la suprématie bavaroise: «Les espoirs sont grands pour que Dortmund s’établisse enfin comme le contre-pouvoir du Bayern et redonne ainsi de l’équilibre au football allemand dans son ensemble.»

Il est encore prématuré de définir les marqueurs identitair­es et d’appréhende­r le véritable potentiel du BVB version Favre, d’autant plus que le mercato de Bundesliga court jusqu’au 31 août et que la direction technique spécule sur l’arrivée d’un avantcentr­e. Mais la large victoire contre Leipzig a encore dopé les attentes.

«Un philosophe du football»

Dans ce contexte à haute pression, la sérénité du Suisse détonne. «C’est un autre Favre qu’à ses débuts en Bundesliga, lorsqu’on le voyait gesticuler nerveuseme­nt dans sa zone technique. A Nice, il a gagné en maturité et appris à prendre de la distance», juge Sven Goldmann du Tagesspieg­el. Jonas parle lui aussi de sagesse, scandant que «Favre est un philosophe du football».

«Enfin, reprend-il, comme le disait Alfred Preissler, un joueur du club dans les années 1950, les théories sont une chose mais c’est le terrain qui est important.» Cela tombe bien, Lucien Favre a la réputation d’y ancrer son travail acharné.

«C’est un autre Favre qu’à ses débuts en Bundesliga, lorsqu’on le voyait gesticuler nerveuseme­nt dans sa zone technique» SVEN GOLDMANN, JOURNALIST­E AU «TAGESSPIEG­EL»

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