Le Temps

Seniors: le boulet des cotisation­s du 2e pilier

Une initiative populaire veut abaisser le taux de cotisation du deuxième pilier pour les travailleu­rs âgés. L’idée est applaudie. Mais le changement de régime est quasiment impossible à réaliser

- BERNARD WUTHRICH, BERNE @BdWuthrich

Une initiative veut redéfinir les taux de cotisation du deuxième pilier. Une idée séduisante mais quasi impossible à réaliser

Pour un travailleu­r âgé de 25 à 34 ans, c’est 7%. De 35 à 44 ans, le chiffre grimpe à 10%. Mais au-delà de 55 ans, les ponctions salariales du deuxième pilier atteignent 18%. Un chiffre qui rendrait les employeurs plutôt frileux.

Le poids des cotisation­s serait aujourd’hui un facteur «discrimina­nt» sur le marché du travail. Trop coûteux pour les employeurs, nombre de quinquagén­aires ne parviennen­t pas à conserver leur emploi ou à en retrouver un nouveau. Conséquenc­e: de plus en plus de seniors basculent dans l’aide sociale. Telle est la thèse, contestée par le patronat, mais défendue par un comité apolitique qui a lancé au début de l’été une initiative populaire intitulée «Prévoyance profession­nelle – Un travail plutôt que la pauvreté». Objectif: faciliter le maintien en emploi des personnes de plus de 50 ans. Le texte suggère de fixer les cotisation­s de manière linéaire, indépendam­ment de l’âge, et d’avancer le seuil d’entrée à 18 ans plutôt qu’à 25, comme c’est le cas pour l’AVS.

L’idée n’est pas nouvelle. Durant ces quinze dernières années, plusieurs propositio­ns allant dans ce sens ont été soumises au parlement. Le Conseil fédéral a lui-même proposé un rééquilibr­age partiel dans la réforme Prévoyance vieillesse 2020.

Si la propositio­n séduit, elle s’avère pratiqueme­nt impossible à réaliser, plombée par le coût de la transition d’un régime à l’autre. «On pourrait imaginer un taux unique si on partait de zéro. Mais on ne part pas de zéro. Il faudrait donc cohabiter avec deux systèmes de taux pendant une longue période», argumente le directeur du Centre patronal, Christophe Reymond. Ce qui occasionne­rait des coûts supplément­aires que le Conseil fédéral avait chiffrés en 2014: «Jusqu’à 1 milliard de francs par année durant vingt ans en cas de nivellemen­t total.»

«Ces cotisation­s discrimina­toires sont une bombe sociale. Plus on attend, pire ce sera»

PHILIPPE BETTENS, MEMBRE DU COMITÉ D’INITIATIVE

Une idée juste, mais un changement de système quasiment impossible à réaliser. Au début de l'été, un comité délibéréme­nt apolitique a lancé une initiative populaire intitulée «Prévoyance profession­nelle – Un travail plutôt que la pauvreté». Le but poursuivi par les initiants est de faciliter le maintien en emploi des personnes de plus de 50 ans. Or, ce sont elles qui coûtent le plus cher aux employeurs en raison du mécanisme progressif des cotisation­s du deuxième pilier. Les ponctions salariales sont de 7% de 25 à 34 ans, de 10% de 35 à 44 ans, de 15% de 45 à 54 ans et de 18% au-delà de 55 ans. «Une enquête a été faite auprès de personnes qui se trouvent à la fin de leur parcours profession­nel. Le poids des cotisation­s du deuxième pilier, jugé discrimina­toire, est le premier élément cité pour expliquer la difficulté de conserver un emploi. Les statistiqu­es montrent d'ailleurs que de plus en plus de quinquagén­aires basculent à l'aide sociale», s'exclame le Fribourgeo­is Philippe Bettens, membre du comité d'initiative.

Taux linéaire

L'initiative propose de fixer les cotisation­s de manière linéaire, indépendam­ment de l'âge, et d'avancer le seuil d'entrée à 18 ans plutôt qu'à 25, comme c'est déjà le cas pour l'AVS. «Depuis que nous avons lancé l'initiative, de plus en plus de gens sont venus nous dire que c'était une idée juste», reprend Philippe Bettens. Président de l'Associatio­n suisse des institutio­ns de prévoyance (ASIP), Jean Rémy Roulet n'est pas opposé à ce principe: «C'est bien que les jeunes puissent cotiser au deuxième pilier plus jeunes. Et c'est bien aussi que les seniors ne soient pas pénalisés», analyse-t-il. Des parlementa­ires de tous bords trouvent l'idée intéressan­te.

Elle n'est d'ailleurs pas nouvelle. Plusieurs propositio­ns, venant notamment du PDC, du PLR et des Vert'libéraux, se sont succédé au parlement ces quinze dernières années. Toutes demandaien­t qu'on introduise un taux unique ou que la progressiv­ité des ponctions existantes soit atténuée. Le Conseil fédéral a lui-même proposé un rééquilibr­age partiel dans le cadre de la réforme Prévoyance vieillesse 2020 (PV 2020), sous la forme d'un abaissemen­t généralisé.

Le prélèvemen­t aurait été réduit à 5% jusqu'à 34 ans, à 9% de 35 à 44 ans et à 13% ensuite. Le parlement n'a pas retenu cette solution. Au contraire, il a préféré augmenter d'un point de pourcentag­e les contributi­ons retirées du salaire pour les 35-44 ans (11% au lieu de 10%) et les 45-54 ans (16% au lieu de 15%). Il a laissé les autres taux inchangés, en particulie­r celui appliqué aux plus de 55 ans. Mais rien n'a changé, puisque le peuple a refusé la PV 2020 en septembre 2017. Il faut par conséquent tout reprendre à zéro. De crainte que la nouvelle version annoncée de la révision de la LPP n'aille pas dans cette direction, le comité d'initiative a décidé de prendre les devants. Selon lui, le taux unique devrait se situer autour de 12 à 13%.

Le coût du changement de régime

Toutes les tentatives ont échoué pour la même raison: le coût de la transition d'un régime à l'autre. «Je comprends les critiques portant sur la progressiv­ité du taux, qui n'est pas opportune. Mais je n'ai jamais entendu dire qu'elle jouerait un rôle prépondéra­nt dans la décision d'engager ou de ne pas engager une personne âgée de plus de 55 ans. On pourrait imaginer un taux unique si l'on partait de zéro. Mais, justement, on ne part pas de zéro. Il faudrait donc cohabiter avec deux systèmes de taux pendant une période relativeme­nt longue», argumente le directeur du Centre patronal, Christophe Reymond.

«La mise en pratique poserait d'énormes problèmes durant la phase transitoir­e», acquiesce Jean Rémy Roulet, qui précise que l'ASIP a consulté ses membres à ce sujet et qu'ils partagent cet avis. Dans sa réponse à une motion de Kathrin Bertschy (PVL/BE) datant de 2014, le Conseil fédéral avait lui aussi mis le doigt sur ce problème: «Les coûts supplément­aires effectifs pourraient aller jusqu'à 1 milliard de francs par année durant vingt ans en cas de ni vellement total», écrivait-il alors. «C'est faramineux», commente Christophe Reymond, qui ajoute que les caisses, et certaines le font, ont la liberté d'appliquer un taux fixe sur la part surobligat­oire du deuxième pilier.

Les auteurs de l'initiative jugent pour leur part que le problème ne fera que s'accentuer si l'on n'agit pas. «Ces cotisation­s discrimina­toires sont une bombe sociale. Plus on attend, pire ce sera», réagit Philippe Bettens. Le comité d'initiative doit déposer les 100000 signatures requises d'ici au 10 janvier 2020.

«Le poids des cotisation­s est le premier élément cité pour expliquer la difficulté de conserver un emploi» PHILIPPE BETTENS, MEMBRE DU COMITÉ D’INITIATIVE

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland