Le Temps

Seule une économie au service des gens est durable

- VÉRONIQUE POLITO MEMBRE DU COMITÉ DIRECTEUR DU SYNDICAT UNIA

Rares sont les personnes qui osent aujourd’hui remettre ouvertemen­t en question l’importance fondamenta­le du développem­ent durable. Paradoxale­ment, peu nombreuses sont celles qui sont prêtes à remettre en question notre modèle économique hégémoniqu­e, basé essentiell­ement sur le principe de la liberté économique, l’accumulati­on des richesses et la maximisati­on du profit.

Pourtant, même si la liberté économique est inscrite dans la Constituti­on, cela ne signifie pas qu’elle peut se faire au détriment des aspects sociaux et environnem­entaux. Bien au contraire, la Constituti­on précise que l’économie doit contribuer à la «prospérité et la sécurité économique de la population» (art. 94). Autrement dit: l’économie devrait en premier lieu être au service des gens.

Est-ce le cas? Au niveau mondial, le développem­ent économique n’a pas répondu à ses promesses: nous constatons depuis une quarantain­e d’années un accroissem­ent très important des inégalités. Selon des études internatio­nales récentes, le pour cent des plus riches a profité deux fois plus de la croissance des revenus que 50% des plus pauvres. Cette tendance se vérifie aussi en Suisse avec une accélérati­on de la concentrat­ion du capital chez une petite minorité.

Selon les dernières estimation­s de l’Union syndicale suisse, les 2% des personnes les plus riches en Suisse détiennent une fortune supérieure à celle des 98% restants. Parallèlem­ent, la classe moyenne s’appauvrit car l’évolution des salaires pour les catégories intermédia­ires est à la traîne. En bas de l’échelle sociale, l’évolution de formes précaires d’emploi (sous-traitance, travail temporaire, pseudo-indépendan­ce) pousse les plus vulnérable­s dans la précarité.

Cette tendance se confirme dans les branches et secteurs économique­s bien connus du syndicat Unia. Dans l’industrie, par exemple, la crise financière de 2008 et ensuite la crise du franc fort ont conduit à des vagues de licencieme­nts successive­s. Cela a entraîné la disparitio­n de milliers de places de travail et l’augmentati­on du chômage, notamment chez les travailleu­rs qualifiés âgés de plus de 50 ans. Et même si aujourd’hui l’industrie se porte mieux et que les profits repartent à la hausse, pour les travailleu­rs âgés licenciés les pertes de revenus (salaire, prestation­s sociales, retraites) restent durables.

Dans le secteur des services, ce même phénomène de captation des richesses est amplifié par l’arrivée de l’économie de plateforme liée à la numérisati­on. De grandes sociétés américaine­s utilisent les nouveaux moyens technologi­ques pour pressurer leur personnel et éviter de payer leurs impôts, comme l’a fait notamment Amazon en Europe.

Dans le même ordre d’idée, le service de chauffeurs Uber a créé un modèle d’affaires qui vise à contourner systématiq­uement les lois en vigueur (notamment la législatio­n sur le travail et sur les assurances sociales), dans le but de détruire les modèles de taxis traditionn­els grâce à un dumping social de masse. Le but ultime non avoué de ce type d’entreprise­s: réduire à néant la concurrenc­e pour garantir à moyen terme une position de monopole et imposer un nouveau modèle d’affaires antisocial et bon marché garantissa­nt la maximisati­on des profits au détriment des travailleu­rs locaux. Hélas, Amazon et Uber ne sont pas les seuls exemples de ce type. Chaque jour se créent de nouvelles plateforme­s.

Dans les soins et l’accompagne­ment des personnes âgées notamment, un secteur dont les perspectiv­es de croissance aiguisent les appétits, de nouveaux acteurs numériques arrivent pour placer du personnel dans les ménages privés à des conditions parfois proches de l’esclavage. Ils agissent au nez et à la barbe des autorités de surveillan­ce qui, faute de moyens, ne sont pas en mesure de faire respecter les lois qu’elles sont censées défendre.

Si, au nom de la liberté économique, on laisse ce genre de modèles d’affaires se développer sans sourciller, notre société va droit dans le mur. La liberté économique ne remplit pas sa fonction si elle aboutit au sabotage des droits des salariés et à réduire à néant la prospérité et la sécurité économique de la population.

Face à cette situation préoccupan­te, le monde politique et la société civile doivent reprendre la main. Unia défend l’idée d’une économie solidaire qui assure le bien-être des individus et de leur environnem­ent. Nous voulons une société et une économie démocratiq­ues, où les femmes et les hommes peuvent vivre de leur salaire, participer aux décisions sur leur lieu de travail et vieillir dignement sans avoir peur de tomber dans le besoin. Pour y arriver, il est nécessaire que le monde politique s’engage aux côtés des syndicats, et plus largement avec les partenaire­s sociaux, pour protéger les droits des salariés, préserver les emplois durablemen­t et favoriser une économie de proximité respectueu­se de l’être humain.

La liberté économique ne remplit pas sa fonction si elle aboutit au sabotage des droits des salariés et à réduire à néant la prospérité et la sécurité économique de la population

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