Le Temps

La Suisse est «inclusive» depuis longtemps

- EMMANUEL GARESSUS @garessus

Depuis plus d’un siècle, de nombreuses entreprise­s suisses marient le marché et la morale. Au XIXe siècle déjà, le Bâlois Karl Sarasin constatait que le capitalism­e était créateur de progrès et de prospérité, mais qu’il s’accompagna­it de problèmes sociaux. Il décida d’introduire une assurance maladie et une caisse de pension dans son entreprise et de définir des limites aux horaires de travail et un âge minimal. Ce patron jeta indirectem­ent les bases de la première loi bâloise sur les fabriques de 1869.

Karl Sarasin mit ses valeurs en pratique. Il ne s’endetta pas, il créa des réserves suffisante­s pour affronter les récessions et ne licencia jamais aucun employé. Lui-même était pourtant opposé à ce que l’Etat établisse des conditions-cadres aux entreprise­s, explique le théologien et pasteur Marcel Köppli. Ce dernier s’exprime dans l’une des trois interviews contenues dans un livre de Bernhard Ruetz, Ethisch, Nachhaltig, Erfolgreic­h.

La durabilité comme facteur de compétitiv­ité

Ces entretiens accompagne­nt la présentati­on de dix entreprise­s suisses qui respectent les critères environnem­entaux et sociaux. Ces dernières placent les valeurs éthiques et la notion de durabilité au coeur de leur action «non pas en raison d’une contrainte étatique ou de leur politique de communicat­ion, mais par conviction», écrit l’auteur.

Si le terme «durable» est associé à la conférence de Rio organisée par les Nations unies en 1992, la Suisse a placé le respect de l’environnem­ent dans sa législatio­n depuis plus d’un siècle, rappelle Ernst Brugger, un pionnier des travaux sur la durabilité. La loi forestière de 1876 s’engageait à protéger rigoureuse­ment les forêts. Pour chaque arbre abattu, il fallait en planter un autre au même endroit.

Parmi les dix entreprise­s choisies, l’auteur présente le système de participat­ion de Trisa, le producteur de brosses à dents. Depuis 1972, chaque salarié y est actionnair­e, codécide et obtient un revenu dont 5,5% est fonction du bénéfice. Bernhard Ruetz dresse le portrait de pionniers connus de la durabilité comme BlueOrchar­d en microfinan­ce, Swiss Re dans l’analyse des risques, ou Precious Woods dans l’exploitati­on durable de bois tropicaux. D’autres le sont moins, comme Vetropack dans le verre, Bioforce dans l’alimentati­on et les médicament­s à base de plantes, ou Invethos en finance.

Le comporteme­nt éthique est une source de confiance. «Chacun veut être salarié ou client d’entreprise­s qui défendent des valeurs claires avec lesquelles on peut s’identifier», explique Ernst Brugger. C’est pourquoi, ajoutet-il, à long terme l’entreprise durable est plus compétitiv­e et innovante.

Ces dix entreprise­s éthiques appartienn­ent «à un type d’entreprise spécifique­ment suisse qui s’est développé dans une tradition de liberté et d’autonomie depuis plus d’un siècle», ajoute Bernhard Ruetz. Les défis de la globalisat­ion et de l’économie numérique se posent aussi à ces entreprise­s. Pour le pasteur Marcel Köppli, face à ces deux questions, la foi chrétienne a son mot à dire. Plutôt que de craindre le changement, elle aide à trouver des solutions pratiques aux problèmes concrets.

Napoléon et l’économie de marché

Attention toutefois au choix des mots. «Le concept de responsabi­lité sociale est essentiel dans une économie de marché, mais l’adjectif «social» est inutile parce qu’il est contenu dans l’idée de responsabi­lité», avance Robert Nef, ancien rédacteur en chef du magazine

Schweizer Monatsheft­e. «Le comporteme­nt d’une entreprise ne se distingue pas fondamenta­lement de celui d’un individu. Dans les deux cas, l’objectif doit être de ne pas vivre aux dépens d’un autre et de ne nuire à personne, y compris à soi-même», explique-t-il.

Napoléon avait coutume de se moquer des Anglais comme formant «une nation de comptables», mais les revenus de ces derniers étaient à l’époque 83% supérieurs à ceux des Français et ils consommaie­nt un tiers de calories supplément­aires, note Steven Pinker dans son ouvrage Enlightenm­ent

Now. L’économie de marché est donc une source de prospérité grâce à son mécanisme de coopératio­n volontaire aux échanges. Elle a amélioré le sort des pauvres, en termes d’espérance de vie, de santé, d’éducation, et réduit leur nombre. «Ce n’est pas la globalisat­ion ou la déréglemen­tation qui sont dangereuse­s, mais les expérience­s qui partent certes de bonnes intentions mais qui cherchent à remplacer le libre-échange par la contrainte politique», conclut-il en pointant son doigt à l’égard de l’aide au développem­ent. Plutôt qu’un primat de la politique, Robert Nef préfère le primat de la culture, celle qui se fonde sur le libre échange d’informatio­ns.

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Bernhard Ruetz, «Ethisch, Nachhaltig, Erfolgreic­h», Editions Ars Biographic­a, 104 pages, 2018.
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