Le Temps

A Dresde, l’extrême droite défile sur fond de chasse aux migrants

La tension ne retombe pas après le meurtre d’un Allemand par deux réfugiés syrien et irakien, selon les premiers éléments de l’enquête. Après deux nuits de débordemen­ts et de ratonnades à Chemnitz, la droite xénophobe s’est mobilisée mardi à Dresde

- NATHALIE VERSIEUX, ENVOYÉE SPÉCIALE À DRESDE

Ils sont peu nombreux, une centaine tout au plus, à s’être réunis à partir de 15h au pied du parlement régional de Dresde en cette radieuse journée de fin d’été. Là même où le parti d’extrême droite AfD (Alternativ­e pour l’Allemagne) «doit arriver au pouvoir l’an prochain, à l’issue des prochaines élections régionales», selon les voeux de Roland. Ce comptable de 54 ans, cheveux plaqués, t-shirt blanc et lunettes de soleil sur le nez, est présent à toutes les manifestat­ions de l’AfD depuis deux ans et demi, «excédé par tous les avantages dont bénéficien­t les réfugiés, quand nous n’avons rien. Un Allemand qui a travaillé toute sa vie doit se contenter de 400 euros par mois pour vivre. C’est ce que eux reçoivent comme argent de poche», assure-t-il.

«Prenez une famille de Syriens: le père, la mère et deux enfants, continue Roland. Lui touche 400 euros par mois, elle aussi, les enfants 200 euros chacun, plus un logement gratuit, chauffage, cuisine intégrée, et assurances compris. C’est de la folie, de la folie!» Lorsqu’on lui fait remarquer que les Allemands dans le besoin bénéficien­t des mêmes avantages du système social, Roland s’énerve: «Les Syriens, eux, ne font rien! Ils ne travaillen­t pas, ils traînent dehors la nuit jusqu’à 3h, 4h, 5h! Et ils en profitent pour voler ou pour violer nos femmes!»

«Comme par hasard […], on retrouve le même»

Devant le parlement régional, Roland est rejoint par une vieille connaissan­ce, Heiko Müller, 52 ans, lui aussi membre de l’AfD. Il était la veille à Chemnitz. «Je sais donc de quoi je parle. La presse a parlé de saluts nazis dans la manifestat­ion de Chemnitz. Ce sont des mensonges. Comme par hasard, partout où la chaîne de télévision ZDF se déplace, on retrouve le même provocateu­r qui fait le salut hitlérien…»

Que la victime – un Allemand d’origine cubaine de 35 ans, dont le compte Facebook assurait qu’il aimait «la musique anti-nazis» – ait appartenu à la scène de gauche l’intéresse peu. Il écarte l’argument de la main, rappelant «la longue liste des victimes allemandes des étrangers de Merkel». Et d’enchaîner sur «cette presse mensongère» qui «diabolise l’extrême droite et encourage Merkel à ramener toujours plus de réfugiés dans le pays»! S’il a accepté de nous parler, c’est parce qu’il «aime la Suisse, un pays qui pratique la démocratie directe et respecte la liberté de parole».

Matthias, 62 ans, souligne l’importance de s’engager auprès de l’AfD et de Pegida (Les Européens patriotes contre l’islamisati­on de l’Occident): «Bien sûr, je pourrais rester chez moi, sans me poser de questions. Mais c’est mon devoir que de me soucier de l’avenir de l’Allemagne! Si ça continue comme ça, on sera bientôt minoritair­es dans notre propre pays!»

Quelques activistes du mouvement anti-islam Pegida, qui mobilise tous les lundis soir à Dresde depuis 2014 «contre l’islamisati­on rampante de la société», viennent de déployer une longue banderole: «Paris-Chemnitz-Berlin. Ce ne sont pas que les terroriste­s qui tuent. C’est VOTRE tolérance sans fin!» La police surveille la scène à distance. Sur l’Elbe, le fleuve qui s’étire paisibleme­nt face à la coulisse saisissant­e qu’offre la ville reconstrui­te après la Seconde Guerre mondiale, patrouille un bateau des services de sécurité.

«L’Internatio­nale» à l’autre extrémité de la place

A l’autre bout de la place, l’Université de Dresde a mobilisé quantité d’étudiants et d’activistes de gauche. L’ambiance est plutôt bon enfant, contrairem­ent à ce qui s’est passé à Chemnitz au cours des derniers jours. Ni jets de bouteilles en direction de la

«Les Syriens ne font rien! Ils ne travaillen­t pas, ils traînent dehors la nuit jusqu’à 3h, 4h, 5h!

Et ils en profitent pour voler ou pour violer nos femmes!» ROLAND, UN MANIFESTAN­T DE DRESDE

police et de l’extrême droite ni jets d’engins pyrotechni­ques. Les activistes de gauche entonnent à plusieurs reprises «L’Internatio­nale», provocant de la part des militants d’extrême droite, de l’autre côté de la place, l’énumératio­n d’une longue liste des victimes du communisme en Chine, au Vietnam ou dans le bloc de l’Est.

A la même heure à Berlin, la classe politique semble enfin se saisir du dossier de l’extrême droite. Angela Merkel, qui avait fait condamner les ratonnades de samedi par son porte-parole, prend cette fois personnell­ement la parole pour dénoncer «des actes odieux».

«La haine dans la rue n’a pas sa place en Allemagne a-t-elle mis en garde alors que l’inquiétude grandit dans le pays. Nous avons vu des chasses collective­s […] et cela n’a rien à voir avec un Etat de droit.» Le ministre de l’Intérieur, en conflit avec Angela Merkel sur la question des réfugiés et resté étrangemen­t silencieux depuis samedi, a lui aussi pris la parole mardi, pour «proposer l’aide de la police fédérale» à la police de Saxe visiblemen­t débordée.

A Dresde, la ville où le mouvement anti-islam continue de mobiliser tous les lundis soir depuis 2014, le regroupeme­nt d’extrême droite s’est cette fois déroulé dans le calme.

«ParisChemn­itz-Berlin. Ce ne sont pas que les terroriste­s qui tuent. C’est VOTRE tolérance sans fin!»

BANDEROLE DE PEGIDA

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(ODD ANDERSEN/AFP PHOTO) Des policiers allemands tentent de tenir en respect des manifestan­ts d’extrême droite à Chemnitz, dans l’ex-Allemagne de l’Est.

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