Le départ brutal de Nicolas Hulot fragilise l’édifice Macron
Le ministre de la Transition écologique démissionne avec fracas
«Je ne veux plus me mentir. Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux-là. C’est une accumulation de déceptions. Je n’y crois plus.» C’est par ces mots pleins d’amertume prononcés hier sur France Inter que le ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, a annoncé sa décision de quitter le gouvernement, après avoir confié qu’il se sentait «tout seul à la manoeuvre» sur les enjeux environnementaux au sein de l’exécutif. L’ancien animateur d’Ushuaïa accuse implicitement le président de double langage, allant jusqu’à utiliser le mot «mystification».
Certes le ministre écologiste a enregistré quelques succès comme l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-desLandes, la fin de la recherche d’hydrocarbures ou le raccourcissement du délai pour interdire le glyphosate, mais il a aussi connu des échecs et a été contraint de faire de nombreux compromis. Notamment sur le dossier nucléaire ou sur l’accord de libreéchange UE-Canada (CETA).
Pour Emmanuel Macron, qui avait fait de cette personnalité extrêmement populaire une recrue majeure de son gouvernement, c’est un coup dur. Ce départ surprise intervient avant une rentrée qui s’annonce difficile pour le chef de l’Etat, en baisse dans les sondages et secoué cet été par l’affaire Benalla.
Côté suisse, cette démission ne surprend ni l’ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement Philippe Roch, ni la conseillère nationale vert’libérale Isabelle Chevalley. Tous deux estiment que le système politique français est trop rigide et ne permet pas de compromis.
«Je ne veux pas donner l’illusion que ma présence au gouvernement signifie qu’on est à la hauteur sur ces enjeux-là» NICOLAS HULOT
En pointant du doigt l’absence de «vision» de la politique de transition écologique en France, Nicolas Hulot porte un rude coup au «nouveau monde»
Nicolas Hulot peut être «fier» de son bilan. C’est un communiqué de l’Elysée qui l’a affirmé mardi matin. «En 15 mois, ce gouvernement a fait plus qu’aucun autre sur ce sujet», a commenté dans l’après-midi Emmanuel Macron, en visite au Danemark.
«Fier», le ministre démissionnaire de la Transition écologique et solidaire l’était beaucoup moins au micro de France Inter où il a annoncé son départ. Il s’est en effet livré à un quasi-réquisitoire, assurant que c’est «toute la société» qui est responsable des échecs de la transition écologique, mais visant bien le premier ministre, Edouard Philippe, et le président de la République, Emmanuel Macron.
Uniquement des «petits pas»
Certes, depuis sa nomination en mai 2017, Nicolas Hulot a enregistré quelques succès: l’abandon du projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes; la fin de la recherche d’hydrocarbures; le raccourcissement à cinq ans (au lieu de 15) du délai pour interdire le glyphosate.
Mais ce ne sont, dit-il lui-même, que des «petits pas» auxquels il a souhaité cesser de «se résigner», en dressant l’anaphore des échecs: «Avons-nous commencé à réduire les émissions de gaz à effet de serre? La réponse est non. A réduire l’utilisation de pesticides? La réponse est non. A enrayer l’érosion de la biodiversité? La réponse est non.»
Une autre grille de lecture que celle du président
Il n’a pas non plus réussi à avancer vers la fin du nucléaire, annoncée depuis le quinquennat de François Hollande. Il souhaitait la fermeture de 17 réacteurs, dont la liste (Fessenheim excepté) n’a jamais été établie. Il était hostile au traité de libre-échange avec le Canada (CETA), qui a tout de même été signé. Le gouvernement a annoncé l’isolation thermique de 500 000 logements mais, constatet-il, les crédits pour le faire ont été réduits de moitié. Il a aussi attendu en vain la taxe sur les transactions financières et vu le retour en force des chasseurs quand il réclamait la réintroduction de l’ours et du loup.
Implicitement, il accuse le président de double langage, allant jusqu’à utiliser le mot «mystification». Des grands discours, oui. De bonnes intentions, certes. Mais ni les moyens ni même la volonté, selon lui, n’ont été au rendez-vous: «Nous n’avions pas la même grille de lecture», analyse-t-il. Et surtout pas une volonté collective: «Je suis tout seul à la manoeuvre», répète-t-il, alors qu’il aurait souhaité que la transition écologique soit prioritaire pour tous les ministères et devienne même le fil conducteur de l’action gouvernementale.
Au-delà, Nicolas Hulot met en cause «l’équation impossible des critères budgétaires de Maastricht» et «le modèle économique marchand, cause de tous ces désordres». Des jugements que pourraient applaudir Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Sur ce point, la différence de «grille de lecture» entre le ministre écologiste et le président libéral était écrite dès le premier jour. Mais Nicolas Hulot le dit crûment: pour Emmanuel Macron, la transition écologique, au-delà des éléments de langage, n’était (n’est?) pas à l’ordre du jour, et il n’y a sur le sujet ni «vision», ni «but», ni «chemin». Une rude accusation pour le nouveau monde vanté par le président de la République.
▅