Une solution genevoise pour freiner le déclin de la presse
Comment préserver la diversité du paysage médiatique romand, essentielle à la démocratie et garante du bon fonctionnement de nos institutions? L’Etat de Genève lance l’idée d’une plateforme numérique citoyenne, pour financer de manière indirecte l’information journalistique. Le conseiller d’Etat Pierre Maudet explique les contours de ce projet innovant, baptisé «MyPressGE».
Voilà de nombreuses années déjà que la presse payante est déclarée en crise. Apparition des journaux gratuits, rupture technologique et des modes de diffusion avec la montée en puissance d'internet, puis des réseaux sociaux. Mais aussi effondrement des revenus publicitaires, vieillissement du lectorat et réflexe défensif face à une hausse des coûts de production: les justifications pour expliquer l'agonie que traversent les rédactions du monde entier ne manquent pas.
En Suisse romande, la situation économique des journaux vendus en kiosque ou en ligne s'est dégradée de manière alarmante, avec la disparition récente de titres emblématiques du paysage médiatique régional comme L’Hebdo et Le Matin «papier». Ces pertes font en outre écho aux multiples restructurations dont ont déjà fait et pourraient encore à l'avenir faire l'objet la Tribune de Genève, tout comme Le Temps. Si bien que notre région risque bien d'atteindre des sommets en matière de réduction d'effectifs journalistiques.
Certes, les traumatismes sont récurrents dans le domaine des médias. Mais l'ampleur du démantèlement qui frappe actuellement la presse payante, et qui même s'accélère, est sans précédent dans l'histoire de cette industrie. Ce phénomène nous engage à agir sans plus attendre, car le secteur se voit graduellement amputé de ce qu'il a de plus précieux: sa diversité.
Loin de prétendre résoudre facilement l'équation économique des médias écrits, encore moins de repenser leur modèle d'affaires à leur place, le canton de Genève projette d'élaborer une solution pragmatique et innovante pour endiguer un phénomène assurément hostile à la formation d'opinion. L'idée prend la forme d'un portail d'accès libre aux articles en ligne, financé de manière indirecte et non linéaire par les internautes, qu'ils soient amateurs de journaux ou pas. Son nom de code: «MyPressGE».
Plus concrètement, la proposition des autorités genevoises serait d'établir un partenariat avec les fournisseurs d'accès à internet (Swisscom, UPC, Sunrise, Salt, etc.), pour installer une interface informatique de choix de contenus, hébergée par lesdits intermédiaires. Ces derniers, dont les abonnements mensuels pour surfer sur la Toile seraient majorés de 1 franc par ménage, s'engageraient mécaniquement à transférer la somme de ces contributions aux titres consultés, selon une allocation préétablie.
La clé de répartition pour ce soutien participatif à l'information de qualité serait calculée automatiquement et de manière équilibrée, selon une formule adossée à une échelle impartiale faisant appel à la pondération. Ce dispositif, reposant sur les choix de lecture – en tout temps modulables – des consommateurs, respecterait ainsi le principe d'équité entre les différents journaux. Le modèle se baserait sur le concept du «mécénat global», soit le système de redistribution de droits d'auteur adopté par les plateformes de type Spotify en matière de musique et inviterait, par là même, les citoyens à exercer leur sens critique.
Le projet MyPressGE est l'aboutissement d'une réflexion entamée depuis plusieurs années déjà, en vue de l'engagement inéluctable du canton dans la transition numérique. La démarche, qui répond à la volonté inscrite dans la Constitution genevoise d'encourager la pluralité des supports d'information, entre par ailleurs en résonance avec les consultations fédérales pour la nouvelle loi sur les médias électroniques (LME).
Une presse indépendante, libre et pluraliste est en effet une composante nécessaire à l'exercice du gouvernement des citoyens par l'intermédiaire de leurs élus. Car, pour exprimer son vote, le citoyen a besoin d'être informé – et non pas simplement diverti. Il doit comprendre les problèmes auxquels sa communauté est confrontée et être tenu au courant des solutions que proposent les programmes des partis. Il doit aussi connaître la capacité des candidats aux élections à gouverner ou à légiférer.
Ces renseignements sont certes fournis par les acteurs de la vie politique eux-mêmes. Mais aussi, et dans des proportions croissantes, par quiconque entend participer au débat démocratique. A commencer par les médias de qualité, tous supports confondus. L'information journalistique est donc un bien d'intérêt général. Il relève du domaine public. Ce qui justifie pleinement le vif engagement, que l'on observe dans la plupart de nos sociétés modernes, à sauver la presse et le contre-pouvoir qu'elle est censée représenter.
Dans un monde saturé de connexions, tissé de rencontres avec le smartphone et de plus en plus gangrené de fake news, les rédactions doivent pouvoir continuer à trier l'information, à la rassembler, à la hiérarchiser et à vérifier les sources, avant de restituer les faits de la manière la plus accessible possible. En effet, les médias écrits restent, encore pour l'heure, un élément démocratique souvent décisif.
Au vu des restructurations menées par les grands groupes de presse en Suisse, il est souhaitable que des solutions comme MyPressGE puissent déployer leurs effets dans un avenir proche.
▅
L’information journalistique est un bien d’intérêt général. Il relève du domaine public