Le Temps

La panthère noire rebelle des courts

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Critiquée par le président de la Fédération française pour avoir porté une combinaiso­n-pantalon moulante à Roland-Garros, la joueuse américaine se joue des codes tennistiqu­es figés

Une combinaiso­n noire moulante barrée à la taille par une ceinture rose. La tenue désormais culte incarne Serena Williams dans sa dimension détonante, militante. L’US Open a chassé Roland-Garros, qu’importe. En garant zélé de la bonne morale, Bernard Giudicelli, président de la Fédération française de tennis, a déclaré samedi dans une interview à Tennis Magazine qu’une telle combinaiso­n ne serait à l’avenir plus tolérée. Sexisme, discrimina­tion, censure: les accusation­s outrées n’en finissent plus de s’abattre sur l’intéressé, sa vision des «tournois fashion week» et sa mentalité digne de «l’ancien monde».

«Vous pouvez retirer le costume du super-héros, mais vous ne pourrez jamais lui enlever ses super-pouvoirs»: la réponse de l’équipement­ier Nike n’a pas traîné. Alors que les réseaux sociaux s’enflamment et qu’anciens et actuels joueurs volent à son secours, l’Américaine de 36 ans s’est contentée de temporiser en conférence de presse: «Ce n’est pas quelque chose de grave, tout va bien.» Il faut dire que Bernard Giudicelli recourt à un argumentai­re aussi ampoulé qu’inefficace pour justifier son interdicti­on: «Il faut respecter le jeu et l’endroit. Tout le monde a envie de profiter de cet écrin. Si je fais passer une émotion avec quelque chose qui est beau dans un endroit qui est beau, l’émotion est magnifiée.»

Sur les courts, les femmes jouent en jupe, les hommes en short. L’injonction sonne comme un dogme arriéré. Avec sa combinaiso­n-pantalon, Serena Williams y déroge. Plus que ça, elle en joue. Conçue spécialeme­nt pour elle par le designer américain Virgil Abloh, qui a aussi créé les costumes du film Black Panther, la tenue campe son image de «panthère noire». Elle est cette super-héroïne, cette Catwoman qui sauve les balles les plus désespérée­s. Officielle­ment, les leggings servaient à prévenir des problèmes de circulatio­n sanguine dus à son accoucheme­nt quelques mois plus tôt.

En mai dernier, la fameuse combinaiso­n avait fait jaser. Jusqu’en Suisse, où la chronique acerbe d’un journalist­e du Nouvellist­e avait choqué. «Ce n’est ni insultant ni moqueur d’affirmer que l’Américaine n’a pas le physique adéquat pour se déhancher, sur un court, dans une combinaiso­n aussi moulante qui met avant tout en évidence ses formes très généreuses», affirmait-il. Face au tollé, le quotidien s’était finalement excusé.

Ne s’attaque pas à Serena Williams qui veut. C’est que l’ancienne numéro un mondiale est devenue une icône, l’idole des minorités. Seule athlète noire sur le circuit, elle a régulièrem­ent pris position contre les violences policières. En décembre 2016, dans une lettre ouverte, elle encouragea­it les femmes à poursuivre leurs ambitions et dénonçait les inégalités salariales. De retour en compétitio­n une année seulement après la naissance de sa fille, elle incarne la femme moderne, influente qui excelle dans son sport.

Ce n’est pas la première fois que l’accoutreme­nt d’un joueur fait débat. Au début des années 1980, Andre Agassi avait été exclu de Wimbledon pour y avoir porté un ensemble fluo. Aujourd’hui, le tournoi qui impose le blanc pour tous échappe pourtant aux critiques. Face à l’ampleur du buzz, le directeur des Internatio­naux de France, Guy Forget, a déclaré à L’Equipe qu’il réfléchiss­ait à l’idée d’instaurer un «code vestimenta­ire, plus souple que celui de Wimbledon», pour Roland-Garros.

Jupe, robe ou pantalon? Le débat peut paraître futile. Il n’en est rien. A travers ses tenues décalées, Serena Williams interroge notre conception du corps féminin dans le milieu du sport, elle souligne aussi l’urgence de féminiser les instances dirigeante­s sportives. Stan Wawrinka a bien joué en short de bain style pyjama; ça n’a suscité que des rires.

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(CHRISTOPHE SIMON/AFP) Serena Williams au tournoi de Roland-Garros, en mai dernier.

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