Le Temps

«C’est une accumulati­on de déceptions»

La démission du ministre de l’environnem­ent est une mise en cause directe d’Emmanuel Macron. Pour Nicolas Hulot, les arrangemen­ts en coulisses et les petits pas ont fossoyé l’indispensa­ble ambition écologique

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Avait-il vraiment l’intention de claquer ainsi la porte? Lorsque Nicolas Hulot entame mardi matin, sur France Inter, son interventi­on matinale, le ton n’est pas encore celui de la rupture. «Je demeure au gouverneme­nt», lâche-t-il même, dans ses premières phrases, en déplorant l’absence de soutiens et la présence d’un lobbyiste pro-chasse à une réunion à l’Elysée, la veille. Puis l’ancien animateur de télévision craque, y compris physiqueme­nt. «C’est une accumulati­on de déceptions. Je n’y crois plus. Je ne veux plus me mentir […]. Petit à petit, on s’accommode de la gravité et on se fait complice de la tragédie qui est en cours de gestation. Je n’ai pas forcément de solutions. Je n’y suis pas parvenu.»

Un ministre isolé

Rideau. Le ministre de la Transition écologique et solidaire, numéro trois du gouverneme­nt français, vient de tirer la prise alors que le président de la République s’envole au même moment pour deux jours de visite en Scandinavi­e. «Non», poursuit-il, Emmanuel Macron n’a pas été prévenu de sa démission. «Je respecte sa liberté. Je continuera­i de faire appel à lui», lui répond le chef de l’Etat à Copenhague, dès sa descente d’avion. Son remplaceme­nt pourrait entraîner un remaniemen­t gouverneme­ntal.

Cette démission, Nicolas Hulot y pensait depuis des mois. Car, entre lui et l’Elysée, le courant ne passait plus. Les déceptions s’étaient accumulées. Lorsque le 6 juillet, le ministre tire un bilan d’étape de son plan climat adopté un an plus tôt, sa déception est palpable. «Pour l’instant, le changement n’est pas à l’échelle», admet ce défenseur passionné de la planète, arpentée pendant des années devant les caméras pour son émission culte Ushuaïa. Juste avant, le combattant Hulot a rappelé que la fin de la production d’énergie fossile en France et l’arrêt de la vente de véhicules émetteurs de gaz à effet de serre restent programmés pour 2040. Il a redit, aussi, que la part des énergies renouvelab­les atteindra 32% en 2030, contre 16% actuelleme­nt. N’empêche: le ministre se sait isolé. Lors des débats sur la nouvelle loi agricultur­e et alimentati­on en mai, les lobbyistes ont fait feu de tout bois, et raboté le texte. Au quotidien, son jeune adjoint secrétaire d’Etat Sébastien Lecornu, venu de la droite, occupe de plus en plus d’espace. Le politicien nouvelle génération face au dinosaure de 62 ans, issu de la société civile: «Hulot était dans une nasse. Il n’avait plus d’oxygène», estime un de ses anciens conseiller­s.

Un homme blessé

Le créateur d’Ushuaïa était, en plus, sur la défensive. Paradoxale­ment, la période actuelle aurait dû le voir aux avant-postes, comme lorsqu’il fit un coup d’éclat, en 2007, avec son pacte écologique. Les attaques de Donald Trump contre les climatolog­ues, la reprise de la guerre commercial­e mondiale… les combats ne manquent pas. Mais comment influer lorsque l’on a perdu liberté et confiance? Depuis les accusation­s pour harcèlemen­t et viol lancées contre lui par le défunt magazine Ebdo en février 2018, Nicolas Hulot était un homme blessé. Plusieurs journalist­es français s’étaient remis sur la piste des plaignante­s et d’autres femmes demeurées anonymes. L’orage médiatique planait au-dessus de chacune de ses interventi­ons. Dans son livre Les leçons du pouvoir (Ed. Stock), qui l’amène à parcourir les librairies de l’Hexagone, François Hollande pronostiqu­ait déjà sa démission. En raison de l’opposition politique? Non, par tempéramen­t. «Malgré tout, il n’y a que lui qui l’intéresse», lâche dans son ouvrage l’ancien président, qui le fit venir à l’Elysée comme conseiller spécial chargé de la diplomatie climatique aux côtés… d’Emmanuel Macron.

L’autre raison de ce départ brutal, qui prive le gouverneme­nt d’une personnali­té de premier plan, était son inadéquati­on avec la manière macronienn­e de gouverner. Bien qu’il n’ait jamais été élu, et malgré son échec à la primaire présidenti­elle écologiste de 2012 face à l’ancienne juge Eva Joly, Nicolas Hulot est un animal complèteme­nt politique. Tout son discours, depuis son entrée au gouverneme­nt, consistait à dire qu’il faut tordre le bras aux «technicien­s», pour imposer une volonté. «Nous n’y arriverons que si un gouverneme­nt dans son ensemble a la même impulsion, la même feuille de route, la même vision», a-t-il déploré au micro de France Inter.

«Petit à petit, on s’accommode de la gravité et on se fait complice de la tragédie qui est en cours de gestation. Je n’ai pas forcément de solutions. Je n’y suis pas parvenu» NICOLAS HULOT

«En porte-à-faux complet»

Or le ministre n’a pas réussi à conjuguer le mot «ensemble». L’étau des contrainte­s climatique­s et économique­s s’est refermé sur lui. Il n’était, selon nos informatio­ns, même pas prévu aux côtés d’Emmanuel Macron aux Nations unies en septembre à New York. Autre écueil: l’arithmétiq­ue politicien­ne des élections européenne­s de mai 2019, pour lesquelles son nom avait été cité un temps comme possible tête de liste. Faute d’accord possible avec les Verts au Parlement européen, c’est finalement vers les libéraux, et le centre droit, que pencherait aujourd’hui le locataire de l’Elysée…

La planète Macron était devenue invivable pour Nicolas Hulot. Un sentiment de culpabilit­é avait fini par l’envahir. «Notre économie se désintoxiq­ue trop peu des énergies fossiles», avait-il commenté devant les graphes de son plan climat, en juillet, avant de s’inquiéter en coulisses de la mobilisati­on des activistes sur le site expériment­al d’enfouissem­ent des déchets nucléaires à Bure, dans la Meuse. «Il craignait une seconde «zone à défendre» après celle de NotreDame-des-Landes. Or, sur le nucléaire, il était en porte-à-faux complet», ajoute son ancien conseiller. Une démission, pour éviter une implosion.

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