J’espère, donc je suis
Normalement, je devrais être meilleure chroniqueuse aujourd’hui qu’avant les vacances. Pendant un mois, j'ai fait tout ce qu'il est recommandé de faire pour diversifier les occupations de mon cerveau afin de flexibiliser mes connexions neuronales dans l'espoir d'en obtenir un meilleur rendement. Je l'ai fait scientifiquement. Grâce aux recherches sur la tour de contrôle du corps humain, ce que l'on appelait «se changer les idées» ou «lever le nez du guidon» s'est chargé d'un supplément d'informations indispensables à l'amélioration de soi. J'ai donc pris acte. Les semaines qui précèdent ont fait de moi une personne interdisciplinaire capable de changer un flotteur de chasse d'eau avec une conscience de plombier, de planter des cassissiers comme si j'étais jardinière et d'arroser le jardin comme si j'étais la pluie. Je ne parle pas de la tarte aux pruneaux, confectionnée avec la concentration d'une candidate aux top chefs. Elevés au statut de stimulation cérébrale, ces menus gestes ont rempli mes journées des satisfactions biologiques réputées propres à évacuer les agents stresseurs si nuisibles à la santé.
J’ai fait quelques erreurs, perturbatrices d’affects, dont il est cependant dit qu’à faible dose elles peuvent contribuer à l’apprentissage de soi: le poison avec lequel j'ai tenté d'anéantir l'invasion de fourmis charpentières dans ma cuisine a failli tuer mon chat. Il s'en est remis, mais pas les fleurs plantées près de la fourmilière. J'ai donc connu la mort. Il a fallu que je positive. J'ai eu de longues conversations écologiques avec mon entourage. Il en est ressorti que le bicarbonate de soude et le vinaigre blanc résolvaient sainement les trois quarts des problèmes de maison. Un grand espoir m'est revenu.
L’espoir est l’émotion la plus nécessaire au bon équilibre du cerveau. Il est actionné par les bonnes nouvelles et, à défaut – Trump, Orban, Erdogan, Poutine & Co. n'en donnant que des mauvaises –, par des exercices réguliers du corps. Délaissant les journaux décourageants quant à la capacité du Conseil fédéral de trouver un accord avec l'Union européenne d'ici la fin de l'année, j'ai mis le cap sur la forêt d'en face, 2100 mètres, sous la surveillance d'un capteur de fréquences cardiaques (plus de 125 pulsations/minute ne sont pas recommandées à mon âge).
Grimper est une occupation sportive. Elle a ses amateurs, ses professionnels, son histoire. Elle a surtout son secret: la souffrance, où chacun joue de son aptitude à la supporter, à la narguer et jusqu'à la surpasser. Je grimpe lentement, le thorax en feu, tirée par la promesse d'un lac au milieu d'un site alpin sublime. L'espoir d'y parvenir active la zone de mon cerveau qui donne ses ordres aux muscles. La production de sérotonine qui s'ensuit accroît l'espoir. J'espère, donc je suis. Et bientôt, j'y suis. Mes yeux, devant le cirque alpestre, sont ceux de milliers de grimpeurs qui ont vu un spectacle semblable avant moi, qui l'ont admiré, vanté, peint, commenté et reproduit pendant plus de deux siècles comme le trésor d'un pays appelé Suisse. Se sentir un instant dans la configuration neuronale d'un Caspar Wolf ou d'un Alexandre Calame ajoute à l'exercice de vacances interdisciplinaires. La récompense affective est immédiate. On a chacun son lac des Quatre-Cantons.
Quatre semaines de reconquête de ma neuroplasticité par l’intense diversification de mes activités m’ont ainsi préparée aux secousses prévisibles de l’automne. Ayant bien pouponné mes neurones dans des méninges pas trop fatiguées, je me sens à même d'affronter «la fin des Lumières» (Henry Kissinger). La fin d'une époque est certainement le début d'une autre. Ne pas savoir laquelle est perturbant. Comment faire sans la référence solide, inébranlable, à l'ordre libéral démocratique dans lequel sont organisés tous mes flux physiques et mentaux? La chroniqueuse en moi accélère la vitesse des messages électriques entre ses synapses afin de trouver les meilleures réponses aux plus dérangeantes questions.
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