Le Temps

L’Idiap, joyau valaisan à la pointe de l’intelligen­ce artificiel­le

L’institut basé à Martigny, partenaire de l’EPFL, n’a rien à lui envier. De la reconnaiss­ance d’images à la robotique de précision, l’Idiap est à la pointe de l’intelligen­ce artificiel­le. Mercredi, il présentait ses travaux au public

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

C’est un système capable d’analyser et de noter le comporteme­nt d’une réceptionn­iste d’hôtel. C’est un robot qui aide une personne handicapée à s’habiller. C’est un logiciel assez perfection­né pour aider Interpol à reconnaîtr­e la voix d’un criminel. Voilà, en trois phrases, un résumé des technologi­es présentées mercredi par l’Idiap. L’institut, basé à Martigny, est peu connu du grand public. Mais certaines des innovation­s sorties de ses laboratoir­es n’ont rien à envier à celles de l’EPFL.

Mercredi, l’institut présentait, à l’occasion de sa journée de l’innovation annuelle, ses principaux travaux de recherche. «Nous avons eu le flair, dès nos débuts, d’orienter nos efforts sur l’intelligen­ce artificiel­le et le «machine learning». Désormais, ces technologi­es sont omniprésen­tes et nous ont récemment permis, notamment, de participer à trois programmes de recherche américains, deux sur la biométrie et un sur la reconnaiss­ance du langage», se félicite Hervé Bourlard, directeur de l’Idiap.

Par l’inventeur du Cynar

Les débuts de l’Idiap, alors «Institut Dalle Molle d’intelligen­ce artificiel­le perceptive», remontent à 1991. L’industriel italien Angelo Dalle Molle, inventeur notamment de l’apéritif Cynar, crée l’Idiap sous la forme d’une fondation. Rapidement, la ville de Martigny, le canton du Valais, l’EPFL, l’Université de Genève s’associent au projet. Aujourd’hui, l’Idiap, dont le budget annuel est de 11,4 millions de francs, compte 132 collaborat­eurs, dont certains professeur­s et chargés de cours travaillen­t aussi à l’EPFL.

Moins médiatisée et moins grande que l’école polytechni­que, l’Idiap poursuit sa croissance. «Nos chercheurs sont extrêmemen­t prisés des entreprise­s, et le transfert de technologi­es vers l’économie est efficace, poursuit Hervé Bourlard. Nous allons d’ailleurs proposer, dès le 1er janvier 2019, le premier master en intelligen­ce artificiel­le destiné à des ingénieurs oeuvrant déjà dans des entreprise­s.» Une dizaine de start-up issues de l’Idiap ont été créées, dont KeyLemon. La société, spécialisé­e dans la reconnaiss­ance faciale pour smartphone, a été rachetée début 2018 par le groupe autrichien AMS, principal fabricant de capteurs 3D pour Apple. «Nous avons, aujourd’hui, une dizaine de spin-off et une dizaine de start-up dans notre incubateur IdeArk, ce qui montre que notre lien avec l’économie est fort», affirme François Foglia, directeur adjoint de l’Idiap et directeur d’IdeArk.

Robots semi-autonomes

D’où viendront les start-up de demain? Peut-être des laboratoir­es de Sylvain Calinon, chercheur en robotique. «Nous développon­s des robots capables d’apprendre par euxmêmes et de s’adapter à de nouvelles situations sans interventi­on humaine permanente, explique-t-il. Un robot peut aider une personne âgée ou un sportif accidenté à s’habiller. Nous avons aussi créé un robot sous-marin travaillan­t de manière semi-autonome: l’opérateur peut communique­r avec lui par satellite – ce qui implique un temps de latence – sans problème, le robot étant capable de faire face seul à des imprévus.»

Ces robots pourraient aussi intéresser l’industrie suisse. «On constate que ces machines deviennent de moins en moins chères et que des entreprise­s de petite taille peuvent les acquérir, poursuit le chercheur. Mais leurs besoins sont différents de ceux de constructe­urs automobile­s, par exemple: ces petites sociétés produisent de petites séries, qui varient souvent. D’où l’idée de créer des robots reprogramm­ables très facilement.»

Analyse de la voix de Ben Laden

Le machine learning, soit l’apprentiss­age par les programmes informatiq­ues, est aussi au coeur des travaux du chercheur François Fleuret. «Nous avons travaillé avec des industriel­s qui fabriquent des millions de tubes, utilisés, par exemple, dans les cosmétique­s. Ils fabriquent de plus en plus de tubes avec des bouchons à charnière, une fabricatio­n complexe qui demande à la machine de s’adapter en permanence. Nous avons aussi aidé Ecorobotix, start-up d’Yverdon qui conçoivent des robots désherbeur­s, pour ses systèmes de détection, par caméra, des mauvaises herbes.»

L’Idiap, qui avait réussi un coup d’éclat en 2002 en analysant des enregistre­ments audio d’Oussama Ben Laden, est aussi spécialisé­e dans la biométrie. Ses logiciels sont, par exemple, assez performant­s pour analyser en temps réel la prestation d’un humain: son débit de paroles, ses gestes, son intonation, son regard, etc. Un système est ainsi capable de donner une note, sur la base de nombreux critères, à un réceptionn­iste d’hôtel faisant face à un client mécontent. En comparant les notes attribuées par la machine et celles attribuées par des humains, les chercheurs ont remarqué qu’ils arrivaient à des résultats similaires. «L’idée n’est pas de remplacer le jugement humain, mais de l’aider, par la machine, explique Daniel Gatica-Perez, professeur à l’EPFL et directeur du «Social Computing Group» de l’Idiap. Cette technologi­e pourrait permettre, par exemple, d’analyser des centaines de CV reçus en vidéo.»

«Nos chercheurs sont extrêmemen­t prisés des sociétés et le transfert de technologi­es vers l’économie est efficace»

HERVÉ BOURLARD, DIRECTEUR DE L’IDIAP

Projet européen à 20 millions

L’avenir de l’Idiap, entité qui a conclu de nombreux partenaria­ts mais qui est formelleme­nt indépendan­te, semble assuré. «Nous venons d’être sélectionn­és comme seul partenaire suisse du projet européen AI4EU, centré sur l’intelligen­ce artificiel­le et qui est doté d’un budget de 20 millions d’euros. C’est une formidable reconnaiss­ance de notre expertise», conclut Hervé Bourlard. ▅

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(IDIAP) Sylvain Calinon, chercheur en robotique à l’Idiap: «Nous développon­s des robots capables d’apprendre par eux-mêmes et de s’adapter à de nouvelles situations sans une interventi­on humaine permanente.»

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