Les pubs de Gap huées en France
Une campagne publicitaire de la marque de prêt-à-porter mettant en scène des écoliers new-yorkais illustre le fossé entre multiculturalisme à l’américaine et sacro-sainte laïcité française
Quand la religion s'invite dans la mode, le débat politique n'est jamais loin. Et les perceptions changent radicalement d'un continent à l'autre. Gap en a fait l'expérience cet été. Dans sa dernière campagne publicitaire pour enfants, initialement destinée à la clientèle anglosaxonne, la marque américaine de prêt-à-porter entend «célébrer les différences». Sur les photos: garçon métis et fillette voilée s'affichent, bras dessus bras dessous, sourire aux lèvres. Bien accueillie aux EtatsUnis, la campagne a suscité un tollé en France, très vite suivi d'un appel au boycott.
Ode au multiculturalisme et à la tolérance ou outrage à la laïcité et à la liberté? La polémique qui a enflammé les réseaux sociaux durant tout l'été illustre la différence de perception sur la question du voile. Ultrasensible en France, elle est encore exacerbée par l'âge des enfants, une dizaine d'années à peine. Précision non négligeable: les mannequins utilisés par Gap pour cette campagne de rentrée ne sont pas des professionnels mais des écoliers d'un établissement primaire de Harlem, à New York.
Alors qu'une pétition en ligne exige que la direction européenne se désolidarise de la maison mère américaine, les déclarations outrées, provenant de politiques de tous bords, se multiplient. Sur Twitter, Aurore Bergé, députée de La République en marche, se dit «écoeurée» par cet «argument commercial». «Rien n'autorise ni ne justifie qu'on voile des petites filles: où est leur liberté? Où est leur libre arbitre? Où est leur choix?» La porte-parole des Républicains y voit quant à elle le signe d'une «maltraitance» et un «piétinement» des «valeurs d'égalité, de liberté et de laïcité».
Comment expliquer une si mauvaise réception sur le Vieux Continent? Une partie de la réponse tient dans cette sacro-sainte laïcité, si chère à la France et ancrée plus profondément encore depuis la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ostentatoires dans les écoles et lycées publics. La campagne de Gap n'aurait donc jamais pu être tournée en France.
Le voile continue malgré tout d'être perçu comme un signe de soumission et d'oppression du patriarcat. D'un point de vue légal, toutefois, la marque n'enfreint aucune règle, précise Nicolas Cadène, rapporteur de l'Observatoire de la laïcité, dans une interview donnée au Parisien. «Le principe de neutralité ne s'applique qu'à l'Etat et aux agents publics. Une entreprise privée peut, elle, communiquer comme elle l'entend.»
Sur Twitter, le débat reste vif. «Je me demande ce que les courageuses Iraniennes, qui risquent leur vie pour défier la police des moeurs, pensent de cette campagne de Gap, qui célèbre ce qui pour elles est un vêtement-prison, questionne @PdfQuebec. Le voile n'est pas un conte de fées!» A contre-courant, @ fatima_bent clame: «A celles et ceux qui appellent au #BoycottGapkids, on ne vous a jamais entendus sur les méthodes de travail de la firme en Inde, où elle fait travailler à la main des enfants parfois âgés de 10 ans seulement. Parano islamophobe?»
Dans l'univers de la mode, les marques naviguent souvent d'un extrême à l'autre. Tantôt critiquées pour leur vision étriquée du monde – constitué de Blancs, si possible minces et beaux –, tantôt accusées d'instrumentaliser la diversité à des fins mercantiles. Le luxe a déjà approché depuis longtemps la clientèle musulmane. Au printemps dernier, le Vogue britannique faisait date avec une couverture visant l'exhaustivité: la mannequin somali-américaine Halima Aden y apparaissait en hidjab, aux côtés de femmes aux origines et corpulences variées.
La mode accusée de faire le jeu de l'islam politique. Le refrain rappelle l'interminable polémique sur le burkini. Commercialisé sans encombre par Mark&Spencers en Grande-Bretagne, il avait fini banni de certaines plages de France.
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