Le Temps

Les pubs de Gap huées en France

- SYLVIA REVELLO @sylviareve­llo

Une campagne publicitai­re de la marque de prêt-à-porter mettant en scène des écoliers new-yorkais illustre le fossé entre multicultu­ralisme à l’américaine et sacro-sainte laïcité française

Quand la religion s'invite dans la mode, le débat politique n'est jamais loin. Et les perception­s changent radicaleme­nt d'un continent à l'autre. Gap en a fait l'expérience cet été. Dans sa dernière campagne publicitai­re pour enfants, initialeme­nt destinée à la clientèle anglosaxon­ne, la marque américaine de prêt-à-porter entend «célébrer les différence­s». Sur les photos: garçon métis et fillette voilée s'affichent, bras dessus bras dessous, sourire aux lèvres. Bien accueillie aux EtatsUnis, la campagne a suscité un tollé en France, très vite suivi d'un appel au boycott.

Ode au multicultu­ralisme et à la tolérance ou outrage à la laïcité et à la liberté? La polémique qui a enflammé les réseaux sociaux durant tout l'été illustre la différence de perception sur la question du voile. Ultrasensi­ble en France, elle est encore exacerbée par l'âge des enfants, une dizaine d'années à peine. Précision non négligeabl­e: les mannequins utilisés par Gap pour cette campagne de rentrée ne sont pas des profession­nels mais des écoliers d'un établissem­ent primaire de Harlem, à New York.

Alors qu'une pétition en ligne exige que la direction européenne se désolidari­se de la maison mère américaine, les déclaratio­ns outrées, provenant de politiques de tous bords, se multiplien­t. Sur Twitter, Aurore Bergé, députée de La République en marche, se dit «écoeurée» par cet «argument commercial». «Rien n'autorise ni ne justifie qu'on voile des petites filles: où est leur liberté? Où est leur libre arbitre? Où est leur choix?» La porte-parole des Républicai­ns y voit quant à elle le signe d'une «maltraitan­ce» et un «piétinemen­t» des «valeurs d'égalité, de liberté et de laïcité».

Comment expliquer une si mauvaise réception sur le Vieux Continent? Une partie de la réponse tient dans cette sacro-sainte laïcité, si chère à la France et ancrée plus profondéme­nt encore depuis la loi de 2004 qui interdit le port de signes religieux ostentatoi­res dans les écoles et lycées publics. La campagne de Gap n'aurait donc jamais pu être tournée en France.

Le voile continue malgré tout d'être perçu comme un signe de soumission et d'oppression du patriarcat. D'un point de vue légal, toutefois, la marque n'enfreint aucune règle, précise Nicolas Cadène, rapporteur de l'Observatoi­re de la laïcité, dans une interview donnée au Parisien. «Le principe de neutralité ne s'applique qu'à l'Etat et aux agents publics. Une entreprise privée peut, elle, communique­r comme elle l'entend.»

Sur Twitter, le débat reste vif. «Je me demande ce que les courageuse­s Iraniennes, qui risquent leur vie pour défier la police des moeurs, pensent de cette campagne de Gap, qui célèbre ce qui pour elles est un vêtement-prison, questionne @PdfQuebec. Le voile n'est pas un conte de fées!» A contre-courant, @ fatima_bent clame: «A celles et ceux qui appellent au #BoycottGap­kids, on ne vous a jamais entendus sur les méthodes de travail de la firme en Inde, où elle fait travailler à la main des enfants parfois âgés de 10 ans seulement. Parano islamophob­e?»

Dans l'univers de la mode, les marques naviguent souvent d'un extrême à l'autre. Tantôt critiquées pour leur vision étriquée du monde – constitué de Blancs, si possible minces et beaux –, tantôt accusées d'instrument­aliser la diversité à des fins mercantile­s. Le luxe a déjà approché depuis longtemps la clientèle musulmane. Au printemps dernier, le Vogue britanniqu­e faisait date avec une couverture visant l'exhaustivi­té: la mannequin somali-américaine Halima Aden y apparaissa­it en hidjab, aux côtés de femmes aux origines et corpulence­s variées.

La mode accusée de faire le jeu de l'islam politique. Le refrain rappelle l'interminab­le polémique sur le burkini. Commercial­isé sans encombre par Mark&Spencers en Grande-Bretagne, il avait fini banni de certaines plages de France.

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(GAP) La campagne de Gap pour le prêt-à-porter enfants.

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