«Aux Etats-Unis, les électeurs recherchent de l’authenticité»
Kelly Dittmar, professeure assistante à la Rutgers University dans le New Jersey et collaboratrice du Center for American Women and Politics, commente l’influence de #MeToo dans la sphère politique américaine
Des femmes font ouvertement campagne en se basant sur le mouvement #MeToo. Pensez-vous que de tels témoignages renforceront leurs chances d’être élues? Certaines vont très loin, comme Dana Nessel, qui appelle à ne pas faire confiance à ceux qui ont un pénis… Les électeurs recherchent de l’authenticité chez les candidats, et la volonté des femmes de partager ces histoires personnelles va dans ce sens. Mais, plus important, je pense que beaucoup de celles qui ont partagé leurs histoires #MeToo l’ont fait pour démontrer leur force et leur résilience face aux défis, en démontrant qu’elles feront preuve d’une même capacité de résilience pendant leur mandat. Dans la mesure où ces histoires font ressortir des traits de caractère et des priorités politiques, elles peuvent représenter un avantage pour les candidates. Mais il est important de noter qu’il y a des différences, par parti, dans la façon dont les électeurs y répondent. Ce type de messages est probablement plus efficace auprès des électeurs démocrates, plus enclins à considérer ce problème comme systémique et nécessitant des solutions politiques.
En 1991, Anita Hill a accusé Clarence Thomas, candidat à un poste de juge à la Cour suprême, de harcèlement sexuel. Elle n’a pas été entendue, mais 1992 s’était soldée par un nombre record de femmes candidates, puis élues. En quoi la situation est-elle différente aujourd’hui? Il y a beaucoup de similitudes entre 1992 et 2018. Mais le tableau est un peu différent cette année car davantage de femmes sont déjà au pouvoir [près de la moitié des candidates sont en lice contre des sortantes, alors qu’en 1992 les élections s’étaient soldées par deux fois plus de femmes au Congrès, ndlr] et nous franchissons d’autres étapes, comme des «premières» sur les plans racial, ethnique ou celui de l’identité sexuelle. Il ne s’agit par ailleurs pas d’une année d’élection présidentielle, ce qui permet aux femmes candidates d’obtenir davantage d’attention et de visibilité. Et puis, de nombreuses femmes, des démocrates essentiellement, s’érigent contre le président en exercice, et cela influence aussi leur parcours de candidates et les messages déployés.
Pensez-vous que le mouvement #MeToo, que ce soit en politique ou dans d’autres domaines, ne sera qu’un phénomène passager?
#MeToo a déjà duré plus longtemps que d’autres mouvements similaires autour des agressions sexuelles, ce qui est un signal positif. Dans un environnement où les allégations, preuves et faits peuvent se propager rapidement et via de multiples canaux, les victimes disposent de davantage d’espace pour partager leurs histoires et obtenir des soutiens. Les iné-
«#MeToo a déjà duré plus longtemps que d’autres mouvements similaires»
galités hommes/femmes dans les milieux économiques demeurent, mais l'énergie pour les combattre est forte. Je pense que cela se poursuivra aussi en politique, tant que nous reconnaissons que le changement de rapport de force ne se produira pas en un seul cycle électoral. C'est une longue bataille, et nous devons rappeler que même si les candidates seront au final peutêtre moins nombreuses qu'espéré à être élues, le seul fait d'avoir beaucoup de femmes dans la course crée une nouvelle dynamique favorable à une amélioration du poids des femmes en politique.