Le Temps

47 ans de fission, puis le silence

Avant son arrêt définitif en 2019, la centrale de Mühleberg effectue sa dernière révision. Ultime coup d’oeil à l’intérieur du complexe avant son démantèlem­ent

- BORIS BUSSLINGER, MÜHLEBERG @BorisBussl­inger

Dans le nord-ouest du canton de Berne, une fine route de campagne serpente entre un bosquet d’arbres et des fermes endormies. Sur la droite, on aperçoit le lac de Wohlen puis, au détour d’une colline, une centrale nucléaire: Mühleberg. Flanquée d’une cheminée de 125 mètres, la vénérable installati­on fournit de l’électricit­é aux Helvètes depuis 1972. Elle est à l’arrêt pour cause de révision annuelle, mais recommence­ra à scinder des atomes dès la maintenanc­e terminée. Plus pour longtemps, cependant: après près d’un demi-siècle d’exploitati­on, la structure atomique pousse son chant du cygne. Elle sera désaffecté­e le 20 décembre 2019. Une première suisse.

De l’enthousias­me à Fukushima

On ne badine pas avec la sécurité aux alentours du site, qui garantit 5% des besoins en électricit­é du pays. «L’équipe de garde remplit un bus entier», indique notre guide, pendant qu’un Securitas fait renifler le grillage à son berger allemand. La Suisse dispose de cinq installati­ons de ce genre: Beznau I (1969/AG) – désormais le plus vieux réacteur en activité du monde –, Mühleberg (1971/BE), Beznau II (1972/AG), Gösgen (1979/SO) et Leibstadt (1984/AG). Le dernier projet de constructi­on d’une centrale remonte à 2011, date à laquelle le canton de Berne a même approuvé le principe d’une nouvelle structure à Mühleberg.Le destin en a toutefois décidé autrement. La même année, le Japon est frappé par la tragédie de Fukushima, le Conseil fédéral décide la sortie du nucléaire et, deux ans plus tard, les Forces Motrices Bernoises (BKW) annoncent la fin de Mühleberg pour 2019. Régulièrem­ent pointée du doigt pour des failles sécuritair­es, la centrale devait faire des travaux dont les coûts ont été jugés disproport­ionnés par les exploitant­s au regard de sa rentabilit­é. Qui décident de tirer la prise. Ce ne sera que la première étape d’une longue désaffecta­tion – qui devrait durer jusqu’en 2034 –, et dont les coûts sont estimés à 1,6 milliard. A l’occasion de la dernière révision du réacteur, la presse a pu jeter un ultime coup d’oeil à l’intérieur du monstre de béton.

«La dernière occasion de voir le réacteur ouvert»

En charge des médias, Sabrina Schellenbe­rger explique poliment aux journalist­es comment se tenir: «Ce qui n’est pas autorisé de manière explicite est interdit.» Après la réception d’un badge visiteur, le passage d’un portique analogue à celui d’un aéroport donne accès à la petite ville déployée autour de la centrale. Vêtus du t-shirt de l’entreprise, les employés s’y déplacent à vélo. A l’ombre du réacteur nucléaire. La population est presque uniquement masculine. «Seules 15% de femmes travaillen­t sur le site», concède Sabrina Schellenbe­rger. La centrale grouille de monde. Pendant la révision, le nombre d’employés double pour passer de 350 à 700 personnes. La cantine, qui indique servir 25000 «petites saucisses» par année, tourne à plein régime.

Pour accéder au bâtiment qui abrite la salle des machines et le réacteur, le premier passage obligé est celui du vestiaire. La possibilit­é d’une contaminat­ion est prise au sérieux. Chaque employé – et visiteur – doit se vêtir d’une blouse de protection. «Ne gardez que les sous-vêtements», indique un responsabl­e. Plusieurs tonnes de lessives sont faites chaque semaine pour garantir le respect des procédures d’hygiène. Le port du casque, de chaussons de protection et d’un dosimètre, qui mesure la radioactiv­ité, est également obligatoir­e. «Interdit de manger, de boire ou d’aller aux toilettes pendant les deux prochaines heures», annonce un responsabl­e.

A l’intérieur, les ouvriers fourmillen­t. Des Suisses, qui testent, entre autres, le bon fonctionne­ment des systèmes de ventilatio­n, mais également beaucoup d’étrangers. Parmi eux, des Américains, dépêchés chaque année par General Electric, concepteur du réacteur bernois. Juchés sur une énorme grue jaune sous le plafond du réacteur, ils s’attellent à l’une des opérations les plus critiques: déplacer les barres d’uranium du réacteur, ouvert pour l’occasion, vers la piscine de refroidiss­ement des éléments combustibl­es. Le cycle dure dix ans: cinq ans de fission, cinq ans de refroidiss­ement. Par la suite, les déchets seront entreposés dans le centre de stockage Zwilag, en Argovie. En attendant d’être enterrés en couche profonde.La sécurité est omniprésen­te au sein du complexe, où chaque opération semble avoir été calculée et recalculée. Tout système dispose de back-up. Chaque salle dispose d’un atelier avec ses propres outils. Chaque employé a

Dans les entrailles de Mühleberg. On n’y entre qu’une fois que l’on a passé une combinaiso­n idoine. A droite, la piscine de stockage d’assemblage­s combustibl­es usés.

une tâche précise. Les ouvriers externes présents pour la révision sont eux-mêmes triés sur le volet. «Pour être admis, ils passent un test», dit notre guide. «On leur demande notamment qui est responsabl­e de la sécurité dans la centrale. Vous savez?» Silence. «Tout le monde!» éructe-t-il en suisse-allemand.

«Keine Kontaminat­ion»

Une fois le tour terminé, chaque visiteur se plaque contre la paroi d’une machine vitrée en forme de tube. «Keine Kontaminat­ion», annonce alors une voix féminine. Ouf. A l’instar du robot, Roland Bönzli, chef des opérations de la centrale, se veut rassurant: «Chaque chose est faite dans les règles de l’art et avec le plus grand profession­nalisme, assure-t-il. Il en sera de même lors des opérations de désaffecta­tion.»

La cantine, qui indique servir 25000 «petites saucisses» par année, tourne à plein régime

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(KEYSTONE/PETER KLAUNZER)
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