A Genève, le projet d’une méga-prison prend l’eau
Le Grand Conseil se penche jeudi sur une motion qui s’oppose à la construction des Dardelles. Ce futur établissement de 450 places, intégré à la planification pénitentiaire portée par Pierre Maudet, peine à convaincre dans un contexte budgétaire difficile
Ce n’est qu’un petit hors-d’oeuvre avant le plat de résistance mais tout laisse penser que l’ensemble sera difficile à digérer. Contraintes budgétaires et emprise territoriale obligent, le projet «Les Dardelles», fleuron de la planification pénitentiaire voulue par le conseiller d’État Pierre Maudet, fait de plus en plus de sceptiques au sein du parlement genevois. Un avant-goût de cette résistance à la construction de 450 nouvelles places pour l’exécution de peine sur le canton sera décliné ce jeudi lors de l’examen d’une motion liée à cette thématique brûlante.
En fait, le Grand Conseil se penchera sur deux objets. Le premier, un projet de loi de la gauche abrogeant le crédit de 16,5 millions de francs voté en 2013 pour étudier la réalisation des Dardelles, n’a plus grand sens puisque cet argent a été dépensé et que le Conseil d’Etat a déposé entre-temps deux nouveaux projets (encore en commissions) pour obtenir cette fois un crédit d’investissement de 258,5 millions et le déclassement de 10 hectares de zone agricole. Le second objet à l’ordre du jour est la proposition de motion prônant l’abandon de cette infrastructure au profit d’une prison intercantonale sur un site plus isolé et moins coûteux.
Si cette motion (signée en 2014 par des députés de gauche mais aussi par des PDC) a été refusée (par 8 voix contre 4 et 2 abstentions) en commission des travaux, les fronts ne sont plus aussi clairs. Et François Lefort (Vert), premier signataire de ce texte de protestation, pourrait voir son voeu exaucé. «L’acceptation de la motion serait un signal très fort pour dire qu’une majorité du parlement ne veut pas de ce projet pharaonique, qu’il faut envisager plus sérieusement d’autres options ou alors au moins réduire la voilure.»
La question nourrit en tout cas le débat au sein des groupes. «Le PDC laisse la liberté de vote sur la motion. A une courte majorité, ses membres sont opposés au projet des Dardelles», relève le député et président du parti, Bertrand Buchs. Ce dernier fait partie des récalcitrants: «Il faut encore analyser pourquoi Genève a besoin d’autant de places alors que des prisons ferment ailleurs et se soucier de l’impact sur les terrains environnants.»
Etudier d’autres pistes
Du côté de l’UDC, parti pourtant acquis à l’exigence sécuritaire, le projet final ne passe pas beaucoup mieux. Trop grand et trop cher. Patrick Lussi le dit en ces termes: «Sur le principe, nous sommes contre un hub carcéral à deux pas de la ville et restons convaincus que le concordat romand pourrait être mieux utilisé pour trouver des solutions moins coûteuses et plus excentrées.» Quant au MCG, il ne sait pas encore très bien sur quel pied danser et quel sort réserver à la motion. Toutefois, Jean-Marie Voumard précise déjà: «Le parti n’est pas du tout certain de soutenir en fin de compte ce projet de prison.»
Même si le vrai débat se fera au moment de décider du crédit d’investissement, le socialiste Romain de Sainte Marie estime que la motion rappelle utilement «l’existence d’un projet surdimensionné» alors que le gouvernement s’apprête à prendre des mesures d’économies dans d’autres secteurs. Bien que sensible aux conditions de détention au sein de la prison bondée de Champ-Dollon et à la nécessité de créer un secteur pour les femmes, le PS craint surtout un budget de fonctionnement astronomique.
Il n’y a finalement que le PLR pour soutenir sans complexe les ambitions carcérales de son ministre, même si le coeur n’y est pas vraiment. «Politiquement parlant, il n’y a rien d’intéressant à défendre la construction d’une prison. Ce n’est pas une prestation à la population mais c’est pourtant indispensable et il nous faut prendre nos responsabilités», relève Jacques Béné, l’auteur du rapport de majorité adopté après douze séances de la Commission des travaux consacrées à l’abrogation du crédit d’étude et à la motion.
Durant ces séances, Pierre Maudet est venu longuement défendre la nécessité de ce nouvel établissement destiné à remédier à la surpopulation carcérale, à mettre fin aux conditions de détention indignes et aux indemnités qui en découlent et à permettre la rénovation de Champ-Dollon. Il a également déclaré avoir tâté le terrain vaudois, fribourgeois et même français pour esquisser une solution conjointe. Sans succès. Convaincu «qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même», le chef de la Sécurité estime que la collaboration entre cantons en matière pénitentiaire est difficile et la solidarité inexistante.
Une concentration inquiétante
Le magistrat plaide donc pour une construction sur le périmètre où se trouvent déjà Champ-Dollon, Curabilis et La Brenaz afin de profiter des synergies. Le projet initial, qui avait fait frémir les habitants de Puplinge, a déjà été densifié pour moins empiéter sur les terres et s’éloigner du village. Mais le maire de la commune, Gilles Marti, reste vigilant. Il a dit aux députés toujours craindre les nuisances d’une telle concentration et espérer une autre solution.
Toutes ces questions ne seront sans doute qu’effleurées au moment de trancher le sort de cette motion. Les députés peuvent aussi décider de la renvoyer une fois encore en commission, où se traite le paquet principal dans l’idée d’éviter un désaveu précoce et de se garder un moyen de pression.
Quoi qu’il en soit, il faudra encore de l’énergie à Pierre Maudet pour convaincre de la pertinence de ce «site pénitentiaire Rive gauche» et de son corollaire: l’affectation des 168 places de La Brenaz à la détention administrative alors que les 40 places déjà existantes à Frambois et Favra ne font pas toujours le plein.
Il faudra de l’énergie à Pierre Maudet pour convaincre de la pertinence de ce site