Le Temps

Diplomatie, l’ombre du renoncemen­t français

- RICHARD WERLY, PARIS @LTwerly

Sur quels alliés la France peut-elle désormais compter au sein de l'Union européenne? Comment gagner, à Bruxelles, ce «combat long et difficile» dont Emmanuel Macron a réitéré les objectifs dans son discours lundi à l'Elysée, en ouverture de la rituelle conférence des ambassadeu­rs? Sur cet aspect, aucune précision sauf la référence, vague, aux «partenaire­s constructi­fs» avec lesquels Paris espère mettre en place, face à l'afflux migratoire, «un dispositif pérenne, respectueu­x des principes humanitair­es et du droit solidaire et efficace».

Fait révélateur, le discours présidenti­el était émaillé de points d'interrogat­ion. «Comment l'Europe peut apporter une seule réponse? […] Comment construire cette véritable souveraine­té européenne? […] Est-ce que nous pensons que les choses vont comme elles vont, quand il s'agit du périmètre de l'Europe, de quelle Europe nous voulons?» Place donc à une stratégie diplomatiq­ue du doute. «La France a proposé une Europe qui protège, plus souveraine, unie et démocratiq­ue mais, dans le même temps, les extrêmes ont progressé et les nationalis­mes se sont réveillés. Est-ce une raison pour abandonner? Certaineme­nt pas», a tenté de rassurer Emmanuel Macron. Sans donner toutefois la moindre feuille de route.

La raison de cette prudence, derrière les formules toujours saillantes, est que les diplomates français eux-mêmes font remonter au Quai d'Orsay leur scepticism­e sur l'issue de cette bataille communauta­ire. On se souvient qu'en juin, lors du sommet européen de Bruxelles, le président français avait dû officielle­ment prendre ses distances avec son ex-ambassadeu­r en Hongrie, Eric Fournier, dont un mémo diffusé par Mediapart trahissait l'admiration pour le premier ministre «illibéral» Viktor Orban. Son remplaceme­nt à Budapest avait eu lieu illico. Mais l'affaire a tout de même laissé des traces.

A quelques mois de l'organisati­on à Paris, en marge des commémorat­ions de l'armistice du 11 novembre 1918, d'un «sommet de la paix», de plus en plus de diplomates s'interrogen­t sur la réponse à apporter à la montée des populismes, et sur la perte de crédibilit­é de la Commission européenne dont le président, Jean-Claude Juncker, est à l'évidence lessivé. Au sein du Quai d'Orsay, la traditionn­elle «filière communauta­ire» n'est plus aussi prisée qu'avant. Le retour sur le devant de la scène du Foreign Office britanniqu­e, ballotté par le chaotique Brexit mais prié par Londres de repartir à l'offensive pour défendre le «made in Britain», est même jalousé sur les bords de la Seine. Et pour cause: le Royaume-Uni rouvre des ambassades alors que la France garde les deux pieds sur le frein budgétaire.

Au sein de la diplomatie française, les non-familiers des affaires européenne­s ont toujours trouvé que Bruxelles, et les méandres de sa bureaucrat­ie, consommait bien trop d'énergie et de temps, alors que la mondialisa­tion entraîne une multiplica­tion des centres névralgiqu­es où une grande puissance se doit d'être représenté­e et d'assurer un minimum de visibilité. Coïncidenc­e: la dernière grande offensive diplomatiq­ue française couronnée de succès remonte à 2015 lorsque François Hollande et son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius firent battre le rappel pour arracher l'Accord de Paris sur le climat. Or, sur le climat, Emmanuel Macron n'a consacré lundi que deux vagues paragraphe­s. «La véritable question n'est pas tant de savoir si je vais prendre Donald Trump par le bras au prochain sommet mais bien comment nous allons collective­ment appréhende­r ce moment de grandes transforma­tions que nous vivons, et auxquelles nos sociétés sont toutes confrontée­s», a-t-il ironisé. Avant que le ministre de la Transition écologique et sherpa climatique en chef Nicolas Hulot ne claque la porte du gouverneme­nt le lendemain…

Les ambassadeu­rs de France ont en réalité la gueule de bois. Ils irradiaien­t, en 2017, devant l'image positive de leur pays engendrée par l'incroyable victoire macronienn­e. Beaucoup, d'ailleurs, continuent d'en sentir les effets, surtout du côté de l'Asie où Macron incarne aujourd'hui l'Europe, loin devant la trop lasse Angela Merkel et la trop faible Theresa May. Mais l'ivresse, même prolongée par la victoire des Bleus au Mondial de foot, est en train de s'évaporer. Plus l'Europe patine, plus l'attractivi­té de la France en souffre par ricochet. Plus le locataire de l'Elysée se retrouve isolé face à l'axe Salvini-Orban-Kaczynski-Brexit, plus son aura se fissure. Le refrain du renoncemen­t s'installe. Exactement ce qu'affirme un certain… Nicolas Hulot. ▅

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