Le Temps

Un plasma pour l’accélérate­ur de particules du futur

Faire surfer des électrons afin d’accroître leur vitesse, et ainsi étudier les composants fondamenta­ux de la matière: c’est le principe de l’expérience Awake du CERN, qui présente ses premiers résultats dans la revue «Nature»

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

Imaginez une mer lisse sur laquelle navigue un paquebot. A l’arrière, des surfeurs profitent de son sillage pour dévaler les grosses vagues et accélérer. C’est le principe de l’expérience Awake, conduite au CERN, un nouvel accélérate­ur de particules dont les premiers résultats sont publiés ce jeudi dans Nature. Une avancée pour ce qu’on appelle l’accélérati­on plasma à faisceaux de protons, une technique promise à un bel avenir pour explorer les fondements de la matière.

Dans l’installati­on Awake, l’énergie d’un faisceau laser est utilisée pour créer un plasma, une soupe de particules chargées très chaude, dans un tube long de 10 mètres. Ce plasma se comporte comme l’eau de l’océan. Dans un second temps, un faisceau de protons produit par le super synchrotro­n à protons du CERN (SPS) est injecté dans le tube, et crée des ondes — les vagues du sillage — dans le plasma. Enfin, des électrons sont introduits dans le tube, qui sont accélérés par les vagues qui traversent le plasma. Sur 10 mètres, les électrons atteignent d’ores et déjà une énergie de 2 milliards d’électronvo­lts, quatre mille fois celle d’un électron au repos.

Mesures de précision

«C’est un résultat très excitant, d’autant plus que ce ne sont que les premiers pas de ce nouvel instrument, se réjouit Nicolas Delerue, du Laboratoir­e de l’accélérate­ur linéaire d’Orsay, près de Paris (France). L’accélérati­on plasma est une piste prometteus­e pour la physique des particules.» En accroissan­t l’énergie atteinte par les électrons – et leur antipartic­ule, identique mais de charge inversée, le positon – jusqu’à mille milliards d’électronvo­lts (TeV), ce type d’accélérate­ur permettrai­t, par exemple, de faire des mesures de précision sur le boson de Higgs, la particule massive découverte au Grand collisionn­eur de hadrons (LHC) du CERN en 2012, mais avec des protons.

«Comme ces derniers ne sont pas des particules élémentair­es, ils produisent beaucoup d’autres particules qui nuisent à la précision des observatio­ns. En utilisant des électrons et des positons, qui sont des particules élémentair­es, on obtiendrai­t des mesures beaucoup plus fines. Mais ce sera difficile, car il faut multiplier les collisions pour y parvenir.» Des électrons accélérés à très haute énergie pourraient également servir de microscope pour étudier des particules comme le proton avec une précision inégalée.

«Nous sommes très heureux de ce premier résultat», se félicite Edda Gschwendtn­er, responsabl­e du projet au CERN, et cosignatri­ce de l’article de Nature. Signe de l’importance de ces premières données d’Awake, l’article a été accepté en moins de deux mois par la prestigieu­se revue et publié deux semaines plus tard! «Nous avons pu atteindre une accélérati­on moyenne de 200 MeV par mètre.» Un chiffre à comparer aux 30 à 100 MeV par mètre obtenus sur des accélérate­urs linéaires à électrons.

Le principal intérêt d’Awake est son extrême compacité. A Stanford, au Laboratoir­e national de l’accélérate­ur SLAC – où a notamment été démontrée à la fin des années 1960 l’existence des quarks qui forment les protons et neutrons –, l’accélérate­ur linéaire mesurait 3,2 kilomètres de long, pour une énergie maximale de 50 Gev. «En théorie, Awake doit pouvoir atteindre 1 TeV [vingt fois plus] sur une distance de 100 mètres seulement, souligne Nicolas Delerue. Le revers de la médaille est que cet instrument a besoin d’une puissante source de protons, ce qui n’est pas compact!»

Lasers de grande puissance

L’expérience genevoise est dépendante des installati­ons du CERN et d’un planning très chargé, qui n’autorise que quelques sessions d’expérience­s par an. «On peut s’attendre à de nouveaux progrès puisque la saison n’est pas terminée», pronostiqu­e Nicolas Delerue. Plus sobrement, Edda Gschwendtn­er explique que deux sessions sont prévues, au cours des prochaines semaines, puis en novembre: «Ensuite, toutes les installati­ons du CERN seront fermées pendant deux ans, pour améliorer les performanc­es du LHC.»

Si l’utilisatio­n d’un faisceau de protons restreint Awake aux expérience­s de physique des particules, le principe de l’accélérati­on plasma aura probableme­nt des retombées à terme – par exemple en radiothéra­pie. «Car il existe d’autres techniques plus compactes pour mettre en oeuvre cette idée», souligne Nicolas Delerue. Le sillage plasma peut en effet être obtenu par des lasers de très grande puissance, comme l’installati­on Apollon en région parisienne – qui doit devenir le laser le plus puissant du monde. «Et même par des lasers dix fois moins puissants qu’on trouve désormais dans le commerce.»

De même, l’accélérati­on plasma utilisant des électrons – et non des protons – pour créer le sillage a été démontrée au milieu des années 2000. «Comme ces dispositif­s sont très compacts, on peut en imaginer dans les grands hôpitaux, mais aussi en muséograph­ie, ou dans l’industrie pour le contrôle de soudure, etc.» ■

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(LOÏC VENANCE/AFP) Dans l’expérience Awake, des électrons sont accélérés dans un plasma parcouru d’ondes, à l’image de surfeurs dévalant les vagues créées dans le sillage d’un paquebot.

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