Le Temps

La Suisse, parent pauvre des obligation­s vertes

A l’exception d’une poignée d’entreprise­s, de banques et du canton de Genève, les émetteurs restent rares dans le pays. Pourtant, la popularité des «green bonds» ne cesse d’augmenter dans le reste du monde

- MATHILDE FARINE, ZURICH @MathildeFa­rine

A la bourse suisse, l’investisse­ur dispose d’un vaste choix pour ses placements. Mais, lorsqu’il s’agit d’obligation­s vertes, le champ des possibilit­és se resserre nettement: seuls 14 de ces titres sont accessible­s. Dont six sont libellés en francs. Le reste l’est en dollars américains, australien­s ou canadiens, en euros, en pesos mexicains ou en roubles.

Autant dire que les émetteurs suisses peinent à exploiter ce créneau dans lequel une entreprise ou une entité étatique empruntent de l’argent pour financer un projet «vert». Une formule qui, pourtant, rencontre un succès croissant partout ailleurs. En 2016, près de 100 milliards de dollars avaient été levés par ce biais. L’année 2017 a été encore plus spectacula­ire: 155 milliards, d’après la Climate Bond Initiative, dont plus de la moitié représente des émissions réalisées aux Etats-Unis, en Chine et en France. Cette organisati­on, qui veut mobiliser les marchés financiers contre le changement climatique, estime que ce montant va doubler chaque année et atteindre 1000 milliards d’ici à 2020.

Helvetia Environnem­ent est la première entreprise à s’être lancée en 2017. Une tentative qui s’est soldée par un «grand succès», d’après Olivier Kobel, responsabl­e du financemen­t d’entreprise et du développem­ent de la société genevoise spécialisé­e dans le recyclage. Pour ce premier emprunt obligatair­e – toutes catégories confondues – le groupe a vu les «titres être placés en moins d’une heure et être sursouscri­ts 1,6 fois», détaille-t-il. Il estime ainsi que s’il fallait renouveler l’expérience, qui a permis de récolter 75 millions de francs, Helvetia Environnem­ent serait en mesure de le faire dans de «meilleures conditions».

«Les investisse­urs sont intéressés»

Genève a suivi l’exemple quelques mois plus tard, en automne dernier. Les deux titres émis ont permis de lever 620 millions pour financer des bâtiments à haute performanc­e énergétiqu­e. C’est le seul émetteur public à avoir tenté cette expérience en Suisse jusqu’ici. «C’est étonnant, admet Catherine Reichlin, responsabl­e de la recherche financière chez Mirabaud à Genève. Il a fallu dix ans entre le moment où la première agence, EIB, a fait une émission, appelée à l’époque «climatique», pour qu’une collectivi­té se lance en Suisse.» Les services industriel­s, notamment, pourraient se pencher sur ce genre de financemen­ts. «Il s’agit d’un marché qui doit se restructur­er pour moderniser ses installati­ons et réaliser sa transition énergétiqu­e. En France, par exemple, plusieurs entreprise­s utilisent ce canal», poursuit la spécialist­e. Qui n’en doute pas: les investisse­urs sont intéressés, aussi bien les institutio­nnels que les clients privés.

Raison possible de cette lacune, le surcroît de travail qu’impliquent ces nouveaux outils. «Emettre une obligation verte est plus compliqué qu’un emprunt traditionn­el, car elle exige une plus grande transparen­ce, poursuit Catherine Reichlin. Les investisse­urs doivent savoir exactement à quoi serviront les fonds, et l’émetteur s’engage à faire un reporting de son travail.» A cela s’ajoute encore le coût d’une notation verte, en plus de la notation habituelle de solidité financière, qui n’est pas obligatoir­e mais peut aider à convaincre les investisse­urs de la véritable intention de l’émetteur.

Marché fragmenté

Guillaume Krepper, analyste spécialisé dans les investisse­ments durables à la banque J. Safra Sarasin, ajoute que «ce type d’obligation est pertinent pour les entreprise­s ayant une échelle suffisante, une activité ainsi que des projets adaptés et visant des investisse­urs domestique­s et internatio­naux». Des paramètres, poursuit-il, qui «ne sont pas forcément réunis pour une bonne partie des entreprise­s suisses».

Il nuance également l’intérêt possible pour les entreprise­s de services industriel­s: «En Suisse, ce marché est relativeme­nt fragmenté et peu d’acteurs disposent de l’échelle et des besoins de financemen­t suffisants.» Les obligation­s vertes vont néanmoins se développer, assure-t-il, au vu du succès de Genève et d’Helvetia Environnem­ent.

«Il faut un certain temps pour préparer ce genre d’obligation­s et il faut avoir des projets en préparatio­n, mais je pense que cela va se développer», assure Olivier Kobel, citant la Banque cantonale de Zurich, qui vient de s’y mettre, et Credit Suisse qui, pour l’instant, a choisi de le faire à Londres. En attendant, peut-être, de renouveler l’expérience en Suisse. ▅

Le canton de Genève est le seul émetteur public à avoir lancé des obligation­s vertes en Suisse jusqu’ici

 ?? (ALESSANDRO DELLA BELLA/KEYSTONE) ?? Les émetteurs suisses peinent encore à exploiter le créneau des «green bonds» dans lequel une entreprise ou une entité étatique empruntent de l’argent pour financer un projet «vert».
(ALESSANDRO DELLA BELLA/KEYSTONE) Les émetteurs suisses peinent encore à exploiter le créneau des «green bonds» dans lequel une entreprise ou une entité étatique empruntent de l’argent pour financer un projet «vert».

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