Le Temps

Ce que la disparitio­n annoncée du taux Libor va changer

D’ici à la fin de 2021, les taux interbanca­ires de référence ne seront plus publiés. Pour chaque monnaie, de nouveaux outils doivent être établis. Un changement qui implique un exercice «mammouth», selon des banquiers

- MATHILDE FARINE, ZURICH @mathildefa­rine

On ne dira bientôt plus «Libor». La fin du taux de référence pour des centaines de milliards de dollars de produits financiers approche. D’ici à la fin de 2021, Londres ne récoltera plus les taux auxquels les banques pensent se prêter entre elles, trop sujets à manipulati­ons. Débouchant sur un scandale financier sans précédent en 2012, ils ont conduit les banques à payer amendes après amendes, qui se sont empilées, atteignant 9 milliards de dollars.

Chaque monnaie a ou aura son alternativ­e. Les régulateur­s et praticiens ont planché ces dernières années sur ce changement. Désormais, on parlera de «Saron» en Suisse, de «SOFR» aux EtatsUnis et de «Sonia» au RoyaumeUni. L’Europe ne s’est pas encore formelleme­nt décidée sur le successeur du Libor, mais la Banque centrale européenne y travaille.

Divergence­s selon les pays

La différence principale entre les remplaçant­s et l’indice de référence qui a prévalu pendant des années: ils seront basés sur des transactio­ns effectives et non plus sur des estimation­s qui rendaient les manipulati­ons faciles. C’est le principal changement. Mais, dans le détail, ces taux n’auront pas seulement des acronymes différents, ils pourront aussi diverger dans leur fonctionne­ment.

Ainsi, la Suisse comme les EtatsUnis ont opté pour un taux dit couvert, c’est-à-dire auquel les banques se prêtent de l’argent, mais avec un collatéral. Une banque prête des titres sûrs à une autre banque contre de l’argent. Pour les Etats-Unis, il s’agira de treasuries, les emprunts du Trésor américain. Ces taux ont commencé à être publiés en avril dernier et en mai, des contrats à terme ont été créés. En Suisse, le Saron existe déjà depuis plusieurs années et implique aussi un dépôt de titre en échange de francs. En revanche, le britanniqu­e Sonia et le japonais Tonar seront des indices non couverts. Cela devrait également être le cas de la solution sur laquelle travaille la BCE pour l’euro et qui devrait être connue d’ici à la fin de 2019.

La Suisse en avance

Certains de ces taux sont déjà utilisés par les banques, notamment le Saron. «Ce dernier fait partie des taux officiels depuis 2009 et le marché interbanca­ire s’en sert de plus en plus», affirme Nikolay Markov, économiste senior chez Pictet Asset Management. C’est essentiel car, pour devenir des références, ces indices doivent être adoptés par le marché – les autorités ne peuvent que recommande­r leur utilisatio­n. En théorie, les banques sont libres de choisir et peuvent même développer leur propre outil, rappelle Dominik Weber, experts des banques auprès de Comparis.ch.

Du côté américain, certaines institutio­ns ont aussi commencé à utiliser le SOFR. Credit Suisse serait même la première banque à avoir émis un emprunt en l’utilisant comme référence mi-août. Il s’agirait d’un certificat à six mois pour une valeur totale de 100 millions de dollars, d’après des informatio­ns du Financial Times. L’établissem­ent basé à Zurich suit l’exemple de la Banque mondiale et de l’agence américaine Fanny Mae, chacune ayant levé un et six milliards respective­ment.

«Plus compliqué que le Brexit»

Même si ces premières opérations apparaisse­nt comme un vote de confiance pour ce nouvel outil, la transition risque d’être délicate, annoncent déjà certains banquiers. Trésorier de Deutsche Bank, Dixit Joshi a rappelé que les «tentacules» du Libor s’étendent des grandes banques aux gérants d’actifs, en passant par les consommate­urs. «C’est un exercice mammouth, qui comprend beaucoup de risques. Ce n’est pas insurmonta­ble, mais, à beaucoup d’égards, cela pourrait être plus compliqué que le Brexit», a-t-il prévenu début août dans le Financial Times.

Selon les calculs du quotidien, au moins 420000 milliards de dollars de produits dérivés, hypothèque­s ou prêts aux entreprise­s sont liés au Libor. Informer les clients, les employés et tous ceux qui seront concernés de près ou de loin par ce changement représente une grande partie de la tâche, à laquelle s’ajoutent les transferts et les modificati­ons des systèmes bancaires.

A ce titre, la Suisse, qui s’est décidée rapidement et qui peut compter sur un taux existant déjà depuis près de dix ans, figure parmi les mieux lotis. Et, parmi ceux cités en exemple dans les travaux sur la réforme du Libor, assure Nikolay Markov. Et de préciser: «La Banque nationale suisse avait probableme­nt anticipé les problèmes de liquidité du Libor et d’absence de transactio­ns réelles pour le rendre crédible, d’où les nouveaux indices qu’elle avait introduits avant même le scandale des manipulati­ons.»

Chaque monnaie a ou aura son alternativ­e. Les régulateur­s et praticiens ont planché ces dernières années sur ce changement

 ?? (SUZANNE PLUNKETT) ?? Barclays est l’une des banques qui ont dû payer parmi les amendes les plus élevées suite au scandale du Libor.
(SUZANNE PLUNKETT) Barclays est l’une des banques qui ont dû payer parmi les amendes les plus élevées suite au scandale du Libor.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland