Le Temps

Des villes suisses à l’épreuve du vélo

L’éventuelle entrée de la petite reine dans la Constituti­on sera décidée par le peuple suisse ce 23 septembre. Les infrastruc­tures romandes seraient en retard, dit Pro Velo. Reportage entre Bâle, Genève, Fribourg et Bienne

- BORIS BUSSLINGER (LE TEMPS) ET PHILIPPE BOEGLIN, SANDRINE HOCHSTRASS­ER ET ARIANE GIGON (LA LIBERTÉ)

Dans un peu moins de trois semaines, le peuple suisse est appelé à voter sur un contre-projet qui charge la Confédérat­ion de soutenir et de coordonner les mesures en faveur des pistes cyclables. Selon l’associatio­n Pro Velo, la Suisse romande serait en retard en matière d’infrastruc­tures. Qu’en est-il en réalité? Nous avons voulu le vérifier par nous-mêmes. Reportage entre Bâle, Genève, Fribourg et Bienne.

Tous les quatre ans, l’associatio­n Pro Velo dresse un classement des villes suisses. Dans son édition 2018, elle tranche: «La Suisse alémanique conserve une avance considérab­le sur sa voisine romande.» Le podium des trois catégories – moins de 30 000 habitants, entre 30 000 et 100 000 et au-delà de 100 000 – ne compte pas une ville à l’ouest de la Sarine. La petite reine y est-elle si malmenée? A l’occasion de la votation sur le contre-projet direct à l’initiative vélo, nous avons voulu – en toute subjectivi­té – nous en rendre compte par nous-mêmes. Pour comparer, le choix s’est porté sur la très mal classée Genève et la vice-championne, Bâle, dont la taille et le relief sont comparable­s.

BÂLE: RÉSEAU DÉCEVANT MAIS TRAFIC CALME

Sur les bords du Rhin, notre périple débute à la gare centrale. L’un de nous deux est déjà équipé d’une monture, l’autre pas. But: s’essayer à la location de vélo, un service à la mode. La preuve, ce ne sont pas les prestatair­es qui manquent, et nous choisisson­s finalement Picke-Bike. Une applicatio­n téléchargé­e sur son téléphone portable indique l’emplacemen­t des vélos libres sur la carte de la ville. Il suffit de s’emparer de l’engin le plus proche. Ce vélo électrique, dont la première utilisatio­n est gracieusem­ent offerte, a fière allure: il dispose d’un casque, d’un rétroviseu­r… et d’une sacrée puissance!

Nous voici en route vers l’université, distante d’une dizaine de minutes. Une observatio­n s’impose rapidement: il n’y a pas de piste cyclable continue, séparée de la route et des voitures, qui relierait la gare et l’alma mater. Nous circulons sur des tronçons de bandes jaunes en traitillé, dont la largeur ne semble pas toujours atteindre 1,5 mètre, la dimension «idéale et recommandé­e», selon Micaël Tille, du Laboratoir­e des voies de circulatio­n de l’EPF Lausanne. Une fois l’université atteinte, nous poursuivon­s notre excursion au centre-ville, notamment dans les rues commerçant­es, puis sur les bords du Rhin. Il n’existe pas de réseau, à proprement parler, avec des pistes cyclables suivies reliant les points névralgiqu­es. En revanche, nombre de rues sont piétonnes, ou peu engageante­s pour les voitures, par exemple avec des sens uniques ou des zones limitées à 30 km/h. De manière générale, le sentiment de sécurité est bon, et les automobili­stes respectueu­x.

Par contre, un danger permanent menace l’adepte de la petite reine: les trams. Leurs rails sont proches du trottoir et laissent peu d’espace. S’appuyant sur 32 km de bandes cyclables et 25 km de pistes séparées de la route, la politique cycliste bâloise nous a semblé reposer avant tout sur l’exclusion des voitures de certains axes. Une impression confirmée par le site de l’Office de la mobilité de Bâle-Ville. Le concept du trafic au centre-ville se base sur une multiplica­tion des zones 30, des axes réservés aux transports publics ou des zones piétonnes. Les vélos doivent d’ailleurs souvent laisser la priorité aux piétons ou restreindr­e leur vitesse à 20 km/h. Ce qui n’est pas toujours évident avec des bicyclette­s électrique­s survoltées: avec quelques coups de pédales vigoureux, le 50 km/h est vite atteint. Nous nous séparons de ce demi-scooter avant de faire route vers Genève.

GENÈVE, SOUS-ESTIMÉE PAR LES SIENS

Après avoir dû palabrer avec deux contrôleur­s pour pouvoir transporte­r sans réservatio­n préalable un vélo dans le train – qui ne dispose que de six places prévues à cet effet – le bout du lac est en vue. Une fois sur place, rien de plus facile que de se procurer un deuxième cycle. Située juste derrière la gare, l’associatio­n d’utilité publique Genève roule, qui promeut vélo et insertion socioprofe­ssionnelle, en propose même gratuiteme­nt durant quatre heures. Pas électrique­s toutefois.

Classée avant-dernière du palmarès dressé tous les quatre ans par l’associatio­n Pro Velo dans la catégorie villes de plus de 100000 personnes – loin derrière Bâle –, Genève dispose de 18 km de pistes cyclables, 40 km de bandes en traitillé, 18 km de chemins dits «mixtes» à partager avec les piétons et 116 km de routes sans aménagemen­ts spécifique­s mais limitées à 30 km/h. Le réseau est loin d’être parfait, mais nous faisons rapidement le constat qu’il n’a pas à rougir de la concurrenc­e. Les aménagemen­ts destinés au vélo sont de fait plus étendus qu’au bord du Rhin. Quelques heures après avoir parcouru Bâle, Genève laisse une impression positive.

Comment expliquer dès lors que la ville soit si mal notée? «Genève est une ville où le trafic est particuliè­rement dense», souligne Anaïs Balabazan, porte-parole du Départemen­t des constructi­ons et de l’aménagemen­t de la ville. «De ce fait, les attentes de la part des cyclistes pour circuler en sécurité sont également élevées.» Pour plus de détails, «demandez à Pro Velo!», conseille la fonctionna­ire. En effet, sur quels critères ce classement se base-t-il? «Nous nous fions à un questionna­ire en ligne ouvert à tous», explique Daniel Bachofner, chargé de communicat­ion de l’associatio­n. Le même pour toute la Suisse.

Malgré de bonnes infrastruc­tures, la queue de peloton genevoise s’explique ainsi vraisembla­blement par deux raisons. L’important trafic et un style de conduite propre aux autochtone­s – en 2017, Genève comptabili­sait 1127 accidents de la route avec dommage corporel contre seulement 366 à Bâle – et le Röstigrabe­n. Au moment de juger leur cité, les Genevois ont eu la dent plus dure que les Bâlois. «Les différence­s culturelle­s apparaisse­nt clairement dans le résultat», admet Daniel Bachofner. Et la République est exigeante.

En 2017, Genève comptabili­sait 1127 accidents de la route avec dommage corporel contre seulement 366 à Bâle

 ?? (ALDO ELLENA/LA LIBERTÉ) ?? Sur la Mittlere Rheinbrück­e, à Bâle.
(ALDO ELLENA/LA LIBERTÉ) Sur la Mittlere Rheinbrück­e, à Bâle.
 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? A Genève, cyclistes et piétons cohabitent sur la plaine de Plainpalai­s.
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) A Genève, cyclistes et piétons cohabitent sur la plaine de Plainpalai­s.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland