Des villes suisses à l’épreuve du vélo
L’éventuelle entrée de la petite reine dans la Constitution sera décidée par le peuple suisse ce 23 septembre. Les infrastructures romandes seraient en retard, dit Pro Velo. Reportage entre Bâle, Genève, Fribourg et Bienne
Dans un peu moins de trois semaines, le peuple suisse est appelé à voter sur un contre-projet qui charge la Confédération de soutenir et de coordonner les mesures en faveur des pistes cyclables. Selon l’association Pro Velo, la Suisse romande serait en retard en matière d’infrastructures. Qu’en est-il en réalité? Nous avons voulu le vérifier par nous-mêmes. Reportage entre Bâle, Genève, Fribourg et Bienne.
Tous les quatre ans, l’association Pro Velo dresse un classement des villes suisses. Dans son édition 2018, elle tranche: «La Suisse alémanique conserve une avance considérable sur sa voisine romande.» Le podium des trois catégories – moins de 30 000 habitants, entre 30 000 et 100 000 et au-delà de 100 000 – ne compte pas une ville à l’ouest de la Sarine. La petite reine y est-elle si malmenée? A l’occasion de la votation sur le contre-projet direct à l’initiative vélo, nous avons voulu – en toute subjectivité – nous en rendre compte par nous-mêmes. Pour comparer, le choix s’est porté sur la très mal classée Genève et la vice-championne, Bâle, dont la taille et le relief sont comparables.
BÂLE: RÉSEAU DÉCEVANT MAIS TRAFIC CALME
Sur les bords du Rhin, notre périple débute à la gare centrale. L’un de nous deux est déjà équipé d’une monture, l’autre pas. But: s’essayer à la location de vélo, un service à la mode. La preuve, ce ne sont pas les prestataires qui manquent, et nous choisissons finalement Picke-Bike. Une application téléchargée sur son téléphone portable indique l’emplacement des vélos libres sur la carte de la ville. Il suffit de s’emparer de l’engin le plus proche. Ce vélo électrique, dont la première utilisation est gracieusement offerte, a fière allure: il dispose d’un casque, d’un rétroviseur… et d’une sacrée puissance!
Nous voici en route vers l’université, distante d’une dizaine de minutes. Une observation s’impose rapidement: il n’y a pas de piste cyclable continue, séparée de la route et des voitures, qui relierait la gare et l’alma mater. Nous circulons sur des tronçons de bandes jaunes en traitillé, dont la largeur ne semble pas toujours atteindre 1,5 mètre, la dimension «idéale et recommandée», selon Micaël Tille, du Laboratoire des voies de circulation de l’EPF Lausanne. Une fois l’université atteinte, nous poursuivons notre excursion au centre-ville, notamment dans les rues commerçantes, puis sur les bords du Rhin. Il n’existe pas de réseau, à proprement parler, avec des pistes cyclables suivies reliant les points névralgiques. En revanche, nombre de rues sont piétonnes, ou peu engageantes pour les voitures, par exemple avec des sens uniques ou des zones limitées à 30 km/h. De manière générale, le sentiment de sécurité est bon, et les automobilistes respectueux.
Par contre, un danger permanent menace l’adepte de la petite reine: les trams. Leurs rails sont proches du trottoir et laissent peu d’espace. S’appuyant sur 32 km de bandes cyclables et 25 km de pistes séparées de la route, la politique cycliste bâloise nous a semblé reposer avant tout sur l’exclusion des voitures de certains axes. Une impression confirmée par le site de l’Office de la mobilité de Bâle-Ville. Le concept du trafic au centre-ville se base sur une multiplication des zones 30, des axes réservés aux transports publics ou des zones piétonnes. Les vélos doivent d’ailleurs souvent laisser la priorité aux piétons ou restreindre leur vitesse à 20 km/h. Ce qui n’est pas toujours évident avec des bicyclettes électriques survoltées: avec quelques coups de pédales vigoureux, le 50 km/h est vite atteint. Nous nous séparons de ce demi-scooter avant de faire route vers Genève.
GENÈVE, SOUS-ESTIMÉE PAR LES SIENS
Après avoir dû palabrer avec deux contrôleurs pour pouvoir transporter sans réservation préalable un vélo dans le train – qui ne dispose que de six places prévues à cet effet – le bout du lac est en vue. Une fois sur place, rien de plus facile que de se procurer un deuxième cycle. Située juste derrière la gare, l’association d’utilité publique Genève roule, qui promeut vélo et insertion socioprofessionnelle, en propose même gratuitement durant quatre heures. Pas électriques toutefois.
Classée avant-dernière du palmarès dressé tous les quatre ans par l’association Pro Velo dans la catégorie villes de plus de 100000 personnes – loin derrière Bâle –, Genève dispose de 18 km de pistes cyclables, 40 km de bandes en traitillé, 18 km de chemins dits «mixtes» à partager avec les piétons et 116 km de routes sans aménagements spécifiques mais limitées à 30 km/h. Le réseau est loin d’être parfait, mais nous faisons rapidement le constat qu’il n’a pas à rougir de la concurrence. Les aménagements destinés au vélo sont de fait plus étendus qu’au bord du Rhin. Quelques heures après avoir parcouru Bâle, Genève laisse une impression positive.
Comment expliquer dès lors que la ville soit si mal notée? «Genève est une ville où le trafic est particulièrement dense», souligne Anaïs Balabazan, porte-parole du Département des constructions et de l’aménagement de la ville. «De ce fait, les attentes de la part des cyclistes pour circuler en sécurité sont également élevées.» Pour plus de détails, «demandez à Pro Velo!», conseille la fonctionnaire. En effet, sur quels critères ce classement se base-t-il? «Nous nous fions à un questionnaire en ligne ouvert à tous», explique Daniel Bachofner, chargé de communication de l’association. Le même pour toute la Suisse.
Malgré de bonnes infrastructures, la queue de peloton genevoise s’explique ainsi vraisemblablement par deux raisons. L’important trafic et un style de conduite propre aux autochtones – en 2017, Genève comptabilisait 1127 accidents de la route avec dommage corporel contre seulement 366 à Bâle – et le Röstigraben. Au moment de juger leur cité, les Genevois ont eu la dent plus dure que les Bâlois. «Les différences culturelles apparaissent clairement dans le résultat», admet Daniel Bachofner. Et la République est exigeante.
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En 2017, Genève comptabilisait 1127 accidents de la route avec dommage corporel contre seulement 366 à Bâle