Faire face à l’exode des Vénézuéliens
Plus d’un million et demi de Vénézuéliens ont quitté leur pays sinistré depuis 2015. Les pays de la région tiennent conférence dès ce lundi à Quito pour tenter de se doter d’une politique commune
Chaque jour, quelque 5000 personnes quittent le Venezuela pour fuir un pays où la pénurie de produits de première nécessité est devenue dramatique. Depuis 2015, plus d’un million et demi de Vénézuéliens ont migré vers d’autres Etats d’Amérique latine. Un casse-tête pour des pays peu préparés à affronter ces flux migratoires. A Quito, un sommet s’ouvre ce lundi pour élaborer des politiques communes.
Ils sont chaque jour quelque 5000 Vénézuéliens à traverser la frontière, en voiture, en bus ou à pied, pour fuir la crise politique et économique que traverse leur pays, où la pénurie de produits de première nécessité est devenue dramatique. «Pure invention» pour leur président, Nicolas Maduro, qui ne reconnaît pas l’exode massif de ses concitoyens vers les pays voisins.
Et pourtant… Ce lundi 3 septembre s’ouvre à Quito, en Equateur, un sommet régional pour tenter de coordonner les procédures d’accueil. Selon l’ONU, 1,6 million de Vénézuéliens ont migré vers d’autres pays d’Amérique latine depuis 2015. La seule Colombie en accueille 870000, l’Equateur et le Pérou, respectivement 454000 et 400000. Au Brésil, ils sont 50000, presque exclusivement concentrés dans l’Etat frontalier (et déshérité) de Roraima (520000 habitants), en Amazonie.
Au Brésil, la politique de redistribution des migrants sur l’ensemble du territoire, et notamment sur les Etats prospères comme São Paulo, avance à pas de tortue. Le 29 août, le président Michel Temer a envoyé l’armée au Roraima pour une durée de deux semaines, officiellement afin de «sécuriser» la frontière. Dix jours plus tôt, la petite localité frontalière de Pacaraima avait été le théâtre d’attaques xénophobes, quand des foules d’habitants ont chassé plus d’un millier de Vénézuéliens, après avoir brûlé leurs biens.
A Quito, quatorze pays latino-américains ainsi qu’une dizaine d’organisations internationales tenteront de jeter les bases d’une politique commune pour une «migration ordonnée», selon Christian Krüger, directeur du service colombien des migrations. Les mesures devront notamment porter sur la coordination des contrôles frontaliers ou, encore, l’accueil humanitaire.
«Actuellement, chaque pays répond à cet afflux à sa façon, par des mesures ad hoc de régularisation de la situation des migrants, explique Camila Asano, coordinatrice du programme pour les droits de l’homme de l’association Conectas. Il faudrait donc un effort d’harmonisation. Or, nous craignons d’assister à la coordination d’une politique de durcissement. Peu préparés à affronter ce flux migratoire, le Pérou et l’Equateur ont déjà serré la vis, exigeant désormais des Vénézuéliens un passeport ou en tout cas une pièce d’identité. Or, la plupart de ces migrants n’en ont pas, l’Etat vénézuélien ne parvenant plus à en émettre en raison de la pénurie de papier.»
Le Brésil, pour sa part, ne pose pas d’obstacles mais l’approche des élections générales du 7 octobre y donne lieu à une surenchère xénophobe. La gouverneure du Roraima, Suely Campos (droite), qui brigue un second mandat, demande à la Cour suprême la fermeture de la frontière, alléguant une saturation des services publics. La Cour a rendu une décision préliminaire défavorable mais doit encore examiner la requête en assemblée plénière.
«Le Brésil envoie un mauvais signal aux autres pays de la région, dénonce João Carlos Jarochinski, professeur de relations internationales à l’Université fédérale de Roraima et spécialiste des questions migratoires. La Colombie et le Pérou reçoivent beaucoup plus de migrants vénézuéliens que nous, alors que leur territoire et leur économie sont nettement moins grands.»
Ce spécialiste veut croire, cependant, que le sommet de Quito facilitera l’octroi du statut de réfugié aux Vénézuéliens désireux de l’obtenir. «Il y a un instrument régional pour cela, la Déclaration de Carthagène sur les réfugiés», précise-t-il. Le statut de réfugié empêcherait leur renvoi dans leur pays, comme on l’a vu récemment, lorsque Nicolas Maduro a mis en scène le retour, depuis le Pérou, de 89 migrants, officiellement à leur demande…
«La construction régionale n’a pas eu lieu. Chaque pays a sa propre législation»
JOÃO CARLOS JAROCHINSKI, PROFESSEUR DE RELATIONS INTERNATIONALES À L’UNIVERSITÉ FÉDÉRALE DE RORAIMA
«Reponsabilitée partagée»
João Carlos Jarochinski est sceptique, en revanche, sur l’adoption d’un dispositif commun d’asile en Amérique du Sud, sur le modèle européen. «Il n’y a pas d’autorité supranationale, déplore-t-il. La construction régionale n’a pas eu lieu. Chaque pays a sa propre législation.» Celle du Brésil est particulièrement avancée en la matière, ce qui pourrait favoriser une meilleure répartition des migrants, souligne pour sa part Camila Asano: «Le Brésil, plus grand pays latino-américain, et première économie régionale, pourrait recevoir beaucoup plus de monde, d’autant qu’il a déjà vécu plusieurs vagues migratoires dans son histoire. Il y a une responsabilité partagée, il faut en prendre conscience.»
Reste à savoir si la montée de l’extrême droite – dont le candidat, Jair Bolsonaro, est en tête des sondages pour la présidentielle du 7 octobre – permettra d’y parvenir. Déjà enfle sur les réseaux sociaux la rumeur selon laquelle les Vénézuéliens arriveraient au Brésil dans le seul but de voter pour le candidat de la gauche…
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