Le Temps

Hôpitaux: subvention­s sous la loupe

Une étude mandatée par les cliniques privées suisses révèle que les cantons romands subvention­nent largement leurs hôpitaux, Vaud en tête. «Une distorsion de concurrenc­e», déplore l’enquête

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

Une étude mandatée par les cliniques privées et menée par l’Institut des études économique­s de l’Université de Bâle montre que les hôpitaux des cantons romands, notamment ceux de l’Arc lémanique, sont largement subvention­nés. Champion de Suisse, Vaud y injecterai­t près de 600 millions, soit deux fois plus que Zurich.

C’est une étude qui ne va pas plaire aux cantons romands. Menée par le professeur Stefan Felder, de l’Institut des études économique­s de l’Université de Bâle, elle montre que les hôpitaux, notamment ceux de l’Arc lémanique, sont largement subvention­nés. Champion de Suisse, Vaud y injecte près de 600 millions, soit deux fois plus que Zurich, qui suit avec 300 millions seulement.

Mandaté par les cliniques privées suisses, Stefan Felder s’est penché sur les différence­s de financemen­t entre hôpitaux publics et cliniques privées, passant sous la loupe les 180 hôpitaux de soins aigus et maternités que recensait la Suisse en 2016. Un peu plus de la moitié d’entre eux sont en mains privées.

«5000 francs de subvention par cas»

Dans l’ensemble, les subvention­s ont légèrement baissé ces trois dernières années, mais elles s’élèvent encore à 2,3 milliards de francs. Un quart d’entre elles sont assumées par le canton de Vaud, qui verse 5200 francs par cas en plus du tarif forfaitair­e (DRG) payé à raison de 55% pour le canton et de 45% pour les assureurs. Derrière suivent Genève et Neuchâtel (voir infographi­e). Les cantons les moins étatiques sont Appenzell AR, Zoug et Thurgovie. Leurs subsides sont inférieurs à 600 francs par cas.

Vaud et Genève sont souvent cités par le conseiller fédéral Alain Berset comme des cantons exemplaire­s en matière de gestion des coûts en fonction d’un budget global. Ce que révèle l’étude, ce sont les gros montants que ces cantons investisse­nt dans leurs hôpitaux pour compenser la limitation de budget. «C’est clairement une distorsion de concurrenc­e», affirme Stefan Felder.

En introduisa­nt les tarifs par cas (DRG) en 2012, la loi sur l’assurance maladie a voulu mettre en concurrenc­e les établissem­ents hospitalie­rs en introduisa­nt aussi la libre circulatio­n des patients. «Dans les faits, cette concurrenc­e ne fonctionne pas, notamment en raison des multiples rôles que les cantons jouent sur le marché de la santé», déplore le professeur bâlois. Les cantons peuvent être à la fois propriétai­res d’hôpitaux, régulateur­s dans la mesure où ils établissen­t leur liste hospitaliè­re et même arbitres. Lorsque les assureurs et les prestatair­es de soins ne parviennen­t pas à s’entendre sur le tarif DRG, le canton tranche. «Les cantons ne sont pas neutres. Ils ont intérêt à valider un tarif DRG élevé auquel participen­t les caisses. Il s’agit là d’un mauvais incitatif», ajoute-t-il.

L’étude met en évidence la partie occulte du système de la santé: les prestation­s d’intérêt général (PIG), dont le calcul prête toujours à controvers­e, et le «financemen­t occulte» lors d’investisse­ments, par exemple lorsqu’un canton loue des biens immobilier­s à des prix inférieurs au marché. Chef des affaires publiques chez Comparis. ch, Felix Schneuwly dresse un constat sévère: «Par leurs subvention­s cachées et leur planificat­ion hospitaliè­re protection­niste, les cantons ont échoué à freiner la hausse des coûts. Ils faussent à ce point le marché qu’il faudrait soumettre la question à la Commission de la concurrenc­e», estime-t-il.

Pour remédier un tant soit peu à ces lacunes, Stefan Felder propose d’autonomise­r la gouvernanc­e des hôpitaux: «La Suisse romande a ici un gros retard à combler par rapport à la Suisse alémanique.» Il suggère aussi de mettre au concours les prestation­s d’intérêt général et de les ouvrir au secteur privé.

«Corriger des tarifs parfois injustes»

Placés sur le banc des accusés, les cantons se refusent à se lancer dans une bataille de chiffres. Vaud et Genève reprochent eux aussi le manque de transparen­ce des cliniques privées: «Que les commandita­ires de ces études à la gloire du privé commencent par jouer la carte de la transparen­ce et nous pourrons alors parler en connaissan­ce de cause!» s’exclame le ministre de la santé genevois Mauro Poggia. De son côté, son homologue vaudois Pierre-Yves Maillard rappelle la responsabi­lité en matière de sécurité d’approvisio­nnement en soins de la population. «Per- sonne d’autre que les cantons ne l’assume, ni les cliniques privées, ni leurs lobbyistes, ni les scientifiq­ues auxquels ils achètent des études», rétorque-t-il. «Dès lors, les cantons décident souveraine­ment quels moyens ils veulent investir pour compléter des systèmes tarifaires qui ne sont par toujours justes et pour soulager les payeurs de primes», poursuit Pierre-Yves Maillard.

Pour sa part le conseiller exécutif bernois Pierre Alain Schnegg nuance. «Cette étude est intéressan­te, mais il faut la prendre avec certaines réserves touchant les cantons qui ont un hôpital universita­ire. Ceux-ci ont des missions de formation d’étudiants et de recherche qu’eux seuls peuvent assumer. Et pour Berne, c’est 100 millions de francs.»

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