Le Temps

En cuisine sans se prendre la tête

- JULIE EIGENMANN @JulieEigen­mann

Les entreprise­s qui proposent des repas en kit se multiplien­t. L’idée: s’atteler soi-même aux fourneaux, avec des ingrédient­s dosés et livrés avec la recette. Ce concept à mi-chemin entre le prêt-à-manger et la cuisine traditionn­elle en dit long sur notre rapport à la nourriture

Millefeuil­les d’aubergines, tomates et chèvre au pesto et polenta. Ce plat est le préféré de Sébastien, 37 ans, communican­t. Acheté? Pas vraiment. Créé? Pas tout à fait. C’est un repas «en kit»: les ingrédient­s sont livrés déjà dosés et avec une marche à suivre. Des entreprise­s telles que Migros, Lidl ou la multinatio­nale HelloFresh ont développé ce genre de services en Suisse. Mais le plat susdit vient là d’une société genevoise qui se consacre uniquement aux repas prêts à cuisiner: BeyondFood.

Marie-Lou Veillon a fondé l’entreprise avec son partenaire en 2016. Leurs jobs, prenants, leur laissaient peu de temps pour les courses et la passion de Marie-Lou pour la cuisine. «On côtoyait des expatriés qui avaient utilisé les repas en kit à l’étranger. Comme il n’existait pas de services de ce genre à Genève, on a eu envie de se lancer.»

Le principe: chaque mardi soir, les abonnés de BeyondFood reçoivent, livrés à vélo, une boîte qui contient des ingrédient­s de saison dans les bonnes quantités pour cuisiner trois repas avec des fiches recettes. Le prix? Quarante francs par semaine pour une personne si les plats sont végétarien­s, 49 s’ils contiennen­t de la viande ou du poisson. La société livre 350 repas par semaine, soit environ 75 clients.

Pourquoi se tourner vers une telle offre? «Ça m’a plu parce que je déteste faire les courses et qu’il n’y a pas de gaspillage, on prépare les proportion­s exactes, dit Sébastien. J’ai toujours cuisiné, mais je ne sais jamais quelles quantités acheter et mes plats manquaient de fantaisie, ceux que je cuisine maintenant ressemblen­t à ce qu’on peut voir sur Pinterest!» Martin, 29 ans, business analyst, partage avec Sébastien le sentiment que les courses sont une perte de temps. Mais pour lui, BeyondFood représenta­it aussi une découverte: «Je ne savais pas du tout cuisiner il y a deux ans, c’était une façon d’apprendre.» Diminuer son impact écologique compte aussi: «Sur trois repas, je suis sûr de manger correcteme­nt. Je vois de plus en plus la consommati­on comme une façon de voter.»

Un des éléments qui ont changé notre rapport à la nourriture et provoqué de l’intérêt pour ces offres, c’est la fraude à la viande de cheval en 2013, estime Jean-Pierre Poulain, sociologue, professeur à l’Université de Toulouse-Jean-Jaurès et chargé de la chaire Food Studies de la Taylor’s University, à Kuala Lumpur, en Malaisie. «Les consommate­urs se sont sentis floués, c’était un choc symbolique d’avoir mangé sans le savoir du cheval à la place du boeuf.»

Une remise en question de la nourriture industriel­le, donc. «Auparavant, on se contentait de plats tout préparés. Les repas en kit montrent un renouveau dans le désir de cuisiner», juge Jean-Pierre Poulain. «Ils ont aussi la faculté de régler une contradict­ion; l’envie de faire à manger pour garder le contrôle et parce que c’est valorisant, et le rejet des contrainte­s que ça implique: faire les courses, préparer, créer des déchets.»

Mais cuisiner en étant «assisté», n’est-ce pas prôner le moindre effort? «Je suis une recette, alors que je sais cuisiner, comme je mets parfois Google Maps pour me déplacer alors que je pourrais faire sans, répond Sébastien. Mais ça simplifie la vie.» Pour Marie-Lou Veillon, les repas en kit incarnent une «démocratis­ation totale de la cuisine»: «Beaucoup de gens n’osent pas s’y mettre de peur de rater leur repas, et que ce soit du temps et de la nourriture perdus. Là, ils voient que c’est à la portée de tous.»

Le concept a de l’avenir, notamment avec les personnes âgées, croit Jean-Pierre Poulain: «Quand elles peinent à sortir, elles se font souvent livrer des plats. Les repas en kit pourraient être un entredeux qui permet de rester actif, et l’on peut imaginer une offre qui évolue selon les capacités. Nous nous situons dans un nouvel univers alimentair­e, qui reste à explorer, entre le produit brut et le produit fini.»

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(UNDREY/123RF) Cuisiner, c’est désormais plus facile.

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