Le Temps

Grande offensive contre l’Autorité palestinie­nne

- ALINE JACCOTTET, TEL-AVIV @AlineJacco­ttet

En cessant de financer l’UNRWA, Washington entend forcer le président Mahmoud Abbas à revenir à la table des négociatio­ns avec Israël et le Hamas

Benyamin Netanyahou peut remercier Donald Trump, dont le gouverneme­nt a annoncé vendredi la fin de l’aide financière à l’UNRWA, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestinie­ns depuis 1949. Washington s’est révélé une fois de plus un allié précieux, cette fois-ci sur deux aspects.

L’aspect symbolique, bien sûr, car s’attaquer au statut des Palestinie­ns partis au moment de l’établissem­ent de l’Etat hébreu en 1948 est aussi fort que de reconnaîtr­e Jérusalem comme capitale d’Israël. En retirant son financemen­t et en remettant en question l’octroi du statut de réfugié aux descendant­s d’une famille expulsée, Washington fragilise encore le droit au retour des Palestinie­ns. Or, le gouverneme­nt israélien ne cesse d’essayer d’enterrer cette revendicat­ion fondamenta­le. C’est qu’aujourd’hui, plus de

5,3 millions de Palestinie­ns (chiffres 2017 de l’UNRWA) espèrent revenir sur les terres de leurs grands-parents. On comprend pourquoi Benyamin Netanyahou qualifiait dimanche la décision américaine de «bénédictio­n»… Certes, plus d’un politicien a critiqué l’agence. Ainsi, le ministre suisse des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, avait qualifié en mai le désir de retour des réfugiés de «rêve irréaliste» et l’UNRWA d’«obstacle à la paix» avant de louer son «rôle clé» dans la stabilité de la région.

Un Etat dans l’Etat

Par son annonce vendredi, Donald Trump a aussi servi les intérêts d’Israël sur un aspect stratégiqu­e: la bande de Gaza. Deux habitants sur trois y sont des réfugiés et dépendent de l’aide de l’UNRWA, ce qui en fait un véritable Etat dans l’Etat. C’est dire la pression que va subir l’Autorité palestinie­nne «qui avait toujours rejeté toute discussion avec le Hamas, en espérant que la situation se détériorer­ait au point de forcer les Américains et les Israéliens à trouver une solution», affirme un diplomate européen qui travaille dans la région. Dans ce jeu où chaque partie espère que l’autre cédera, Washington a fait monter les enchères.

Par ailleurs, le gouverneme­nt palestinie­n est furieux des négociatio­ns entre Israël et le Hamas, par l’intermédia­ire de l’Egypte. «C’est envoyer un message positif à tous les extrémiste­s: la violence paie! Israël négocie avec le Hamas à Gaza alors que le Fatah, qui respecte le droit internatio­nal, reconnaît l’Etat juif et recourt à la non-violence est mis sous pression», s’insurge Xavier Abou Eid, porte-parole du négociateu­r de l’Autorité palestinie­nne Saeb Erekat.

L’objectif de la manoeuvre est de forcer Mahmoud Abbas à revenir à la table des négociatio­ns, qu’il boycotte depuis l’annonce du déplacemen­t de l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem en décembre dernier. «Les Etats-Unis ne cessent de renforcer la droite israélienn­e au gouverneme­nt. Nous sommes punis pour l’incapacité de la communauté internatio­nale à faire respecter nos droits», soutient Xavier Abou Eid.

Ecoles laïques condamnées

Pour contraindr­e le président Abbas, la Maison-Blanche avait déjà bloqué il y a quelques mois 250 millions de dollars d’aide annuelle aux Palestinie­ns, mais Ramallah ne semble pas près de céder. Evoquant l’annonce américaine de vendredi, le porte-parole Nabil Abou Roudeineh a déclaré qu’«une telle punition ne parviendra pas à changer le fait que les Etats-Unis ne jouent plus de rôle dans la région et ne font pas partie de la solution». Le plan politique proposé dimanche soir par Washington, basé sur la formation d’une «confédérat­ion» avec la Jordanie, ne risque pas de faire changer d’avis le raïs, puisque Israël n’en ferait pas partie.

Qui cédera? Quel est le point de non-retour? Pour quelque 270000 écoliers de Gaza scolarisés par l’UNRWA, il pourrait être atteint dans les prochains mois. «Le gel de l’aide américaine risque de mener à la fermeture de ces écoles, qui représente­nt la seule alternativ­e laïque à l’enseigneme­nt du Hamas. Ces enfants n’auraient plus que les établissem­ents islamistes ou la déscolaris­ation comme options, ce qui aurait un impact immense sur la société gazaouie», déplore Céline Touboul, vice-directrice générale du think tank Fondation de coopératio­n économique. Et que dire du fait que l’UNRWA offre une aide alimentair­e essentiell­e à la survie d’un Gazaoui sur deux, gère une grande partie de la santé et représente le premier employeur de Gaza, avec quelque 50000 salariés?

Les prochains mois diront dans quelle mesure l’Europe et le monde arabe seront intervenus pour maintenir cette institutio­n. Si rien n’est fait, il est probable que la question des réfugiés palestinie­ns augmentera la pression dans des administra­tions présidenti­elles bien plus éloignées de Gaza que ne l’est celle de Mahmoud Abbas.

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