Le Temps

Empreinte écologique: le secteur du luxe peut-il renverser la tendance?

- VICTORIA LEGGETT HEAD OF RESPONSIBL­E INVESTMENT – UNION BANCAIRE PRIVÉE (UBP)

Quel que soit le niveau d’engagement des marques, le changement repose avant tout sur le consommate­ur, avance Victoria Leggett, cheffe de l’investisse­ment responsabl­e auprès de l’UBP

L’industrie de la mode a une très forte empreinte écologique. Tout d’abord, le gaspillage est considérab­le puisqu’il faut entre 10000 et 20000 litres d’eau pour produire 1 kilo de coton (soit l’équivalent d’un jean et d’une chemise), et la consommati­on de vêtements mondiale est en nette augmentati­on (la production a doublé entre 2000 et 2014) – ce qui est d’autant plus inquiétant que 75% des vêtements finissent à la déchetteri­e.

Autre impact majeur: la pollution. Selon les indicateur­s utilisés pour le classement des industries les plus polluantes, la mode vient juste après l’énergie et l’alimentati­on. Cela s’explique en partie par l’extrême complexité de sa chaîne logistique, qui implique plusieurs autres secteurs (agricultur­e, transport, énergie). Aujourd’hui, 20% de la pollution industriel­le de l’eau est liée au secteur de la mode, et 0,5 milliard de tonnes de microplast­ique sortent de nos machines à laver chaque année.

Besoin de transparen­ce et de contrôle de la chaîne logistique

La situation est certes alarmante mais, en réalité, les facteurs qui rendent cette industrie si polluante sont aussi ceux qui peuvent lui permettre de changer véritablem­ent la donne. Une transparen­ce accrue et un meilleur contrôle de la chaîne logistique seraient en effet extrêmemen­t bénéfiques sur le plan environnem­ental, mais également sociétal.

Quel rôle le luxe peut-il ainsi jouer face à cette situation? Si ce secteur ne représente qu’une faible part de l’industrie de la mode en volume (entre 5 et 10%), il a en revanche une forte capacité à faire évoluer les conscience­s et à favoriser le changement. Les grands noms du luxe ne sont pas seulement des créateurs de tendances en termes de mode, leur pouvoir va bien au-delà: ils fixent le cadre et définissen­t les normes acceptable­s pour l’ensemble du secteur. Cette responsabi­lité est certaineme­nt plus facile à endosser pour les sociétés du luxe qui affichent des marges supérieure­s et un bilan solide et qui, bien souvent, bénéficien­t du «long-termisme» lié à leur structure familiale. Ces sociétés pourraient ainsi montrer la voie aux chaînes de magasins classiques et discount; elles sont d’ailleurs nombreuses à l’avoir déjà fait. Le «long-termisme» qui tend à être associé aux sociétés familiales peut cependant avoir un prix. Le manque d’indépendan­ce du conseil d’administra­tion signifie que les actionnair­es institutio­nnels peuvent avoir du mal à prôner le changement s’ils estiment que les questions environnem­entales et sociales ne font pas l’objet d’une attention suffisante.

Améliorati­on de la dimension sociale

En ce qui concerne l’aspect social – le «S» d’ESG –, des changement­s positifs concrets ont été observés ces dernières années, la transparen­ce et l’audit de la chaîne logistique ayant été au coeur des priorités. Les grandes marques ont fait de réels progrès dans leur approche au quotidien, qu’il s’agisse des standards en termes d’emploi (salaires, droits des employés et conditions de travail) ou de la sécurité de l’origine des produits (soutien des producteur­s, internalis­ation, avec notamment l’objectif d’aider ces derniers à s’adapter à un contexte plus volatil, lié au changement climatique).

Les diverses initiative­s des sociétés pour diminuer leur empreinte environnem­entale ont par contre été plus mitigées. En effet, cette démarche va, dans une certaine mesure, à l’encontre de la raison d’être de cette industrie, à savoir vendre des vêtements. Les marques du luxe prétendron­t que leurs collection­s sont destinées à durer – échappant à l’évolution rapide des tendances qui prévaut dans la mode –, même si la croissance du chiffre d’affaires de ces sociétés et la fréquence toujours plus grande des nouvelles collection­s en magasin semblent indiquer le contraire. Par ailleurs, certaines enseignes leaders sur le marché défraient trop souvent l’actualité avec leurs pratiques consistant à brûler les invendus, à hauteur de plusieurs millions de dollars, dans le but de préserver la valeur de la marque.

Des innovation­s majeures

Le tableau n’est cependant pas totalement noir. Il existe en effet des innovation­s majeures qui contribuen­t à réduire la production de vêtements dérivés de combustibl­es fossiles. A souligner également l’initiative menée par la Global Fashion Associatio­n (et signée par plusieurs grands noms de l’industrie) visant à encourager la mode «circulaire». Ce type d’actions devrait ainsi permettre d’accroître la proportion (encore trop faible) des articles produits à partir de vêtements recyclés.

Le changement pourrait finalement provenir des sociétés qui cherchent à répondre aux nouvelles attentes d’une clientèle avide de luxe et socialemen­t responsabl­e, les millennial­s. Ces clients devront alors clamer haut et fort leurs revendicat­ions, et mettre leurs principes en pratique pour que les profondes transforma­tions attendues puissent réellement se concrétise­r. D’ici là, les fabricants s’emploieron­t encore à satisfaire notre boulimie d’achat, à l’heure où la durée de vie moyenne d’un vêtement ne cesse de baisser. Pour remédier à cette tendance, et plus globalemen­t relever les grands enjeux environnem­entaux, il est donc primordial d’endiguer l’ubérisatio­n du monde. Quel que soit le niveau d’engagement des marques, le changement repose avant tout sur le consommate­ur – c’est à cette condition que l’industrie de la mode pourra réussir le pari de révolution­ner les habitudes d’achat. Au final, seul un véritable partenaria­t entre le consommate­ur, la marque et l’actionnair­e permettra de réduire l’empreinte écologique.

Les grands noms du luxe ne sont pas seulement des créateurs de tendances en termes de mode: ils fixent le cadre et définissen­t les normes acceptable­s pour l’ensemble du secteur

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