Le Temps

La détaxe, l’arme du secteur russe du luxe

Suite à l’introducti­on de ventes détaxées, les horlogers suisses croient au retour de la demande russe, à l’image de Breguet qui vient d’ouvrir une boutique à Moscou. Les sanctions et la conjonctur­e tempèrent toutefois l’optimisme ambiant

- EMMANUEL GRYNSZPAN, MOSCOU @_zerez_

Le nec plus ultra est désormais de consulter sa montre suisse à l’arrière d’une limousine… russe. Les grands noms internatio­naux du luxe tablent sur le réveil de l’appétit de l’ours russe, mais des marques locales émergent, espérant capter la fièvre nationalis­te qui s’est emparée du pays au lendemain de l’annexion de la Crimée et de son cortège de sanctions internatio­nales.

L’horloger Breguet vient discrèteme­nt d’ouvrir fin août sa plus grande boutique d’Europe (317 m2) dans les prestigieu­ses galeries du Goum, en face du Kremlin, où les marques du groupe Swatch sont déjà bien installées. «Tout l’assortimen­t de la maison Breguet est ici, avec des prix allant de 400000 roubles à 55 millions de roubles [5700 à 800000 francs]», commente une vendeuse.

«Le groupe a affiché des ventes record lors du premier semestre de cette année, la Russie ayant contribué à ce résultat», a écrit au Temps un représenta­nt du groupe Swatch, sans donner de chiffres. «Le nombre d’employés, de boutiques, de services ne cesse de croître année après année dans ce pays.» En plus de Breguet, le groupe Swatch a récemment ouvert à Moscou deux boutiques (Longines et Rado) et compte six points de vente en province.

Ailleurs, la santé du secteur du luxe russe génère un optimisme modéré. Plusieurs études montrent un déclin entamé en 2013 et qui suit à peu près la courbe du produit intérieur brut. L’année 2018 constituer­a un test intéressan­t, car la croissance est de retour, tandis que le pouvoir d’achat des Russes continue de se contracter.

Un rapport récent de Deloitte note qu’en Russie «les grands magasins constituen­t le principal canal de distributi­on des produits de luxe, grâce à leurs prix compétitif­s et à leur large gamme de produits. Les marques et les importatio­ns internatio­nales dominent le marché russe des produits de luxe, qui dépend donc fortement du taux de change. Si la situation économique reste stable en 2018, la croissance du marché du luxe va se poursuivre à mesure que le pouvoir d’achat des consommate­urs de la classe moyenne augmente.»

Le secteur de la mode fait plutôt grise mine. En 2017, la plupart des marques (Chanel, Hugo Boss, Bogner, Prada, Christian Dior) ont subi une érosion des ventes entre 1,5 et 5,5%. Deux marques font figure d’exception: Fendi (+40%) et Burberry (+15,7%). La joaillerie semble se porter mieux, avec Tiffany & Co. et Bulgari affichant respective­ment +19,2% et +64% de chiffre d’affaires.

Anna Lebsack-Kleimans, directrice générale de Fashion Consulting Group, constate que les Russes se sont mis à acheter davantage à domicile et moins à l’étranger: «J’observe des changement­s fondamenta­ux dans le comporteme­nt d’achat des Russes: baisse des achats impulsifs et des achats pour la frime typiques de la période post-soviétique. L’acheteur russe s’européanis­e, devient rationnel.»

«Effet Coupe du monde»

Un facteur pourrait stimuler la demande: l’introducti­on depuis mai des ventes détaxées, réservées jusqu’ici aux aéroports. Chez Swatch, on affirme que les étrangers venus pour la Coupe du monde de football «ont acheté beaucoup de montres et ont ainsi stimulé le business de manière impression­nante. Il n’est pas usurpé de parler d’un effet Coupe du monde.»

Pourtant, les vendeurs de plusieurs boutiques de montres suisses logées au Goum sondés par Le Temps disent au contraire que les acheteurs étrangers restent très rares. Les choses pourraient changer, surtout si les touristes profitent des fréquentes dévaluatio­ns du rouble. «En ce moment, nos montres sont moins chères ici qu’en Suisse», affirme une vendeuse de la boutique Breguet. Et c’est sans compter la détaxe, qui devrait stimuler en particulie­r les touristes chinois, très friands de shopping en Russie et dont le nombre croît en moyenne de 15% par an.

Mais le monde du luxe a aujourd’hui les yeux rivés sur la production nationale. C’est du moins ce que la télévision d’Etat tente de faire croire. Vedette du salon automobile de Moscou, la nouvelle limousine Aurus Senat est la version «oligarque» du véhicule officiel de Vladimir Poutine depuis mai dernier. Une limousine conçue et produite en Russie (avec un moteur V8 conçu par Porsche et qui ressemble diablement à la Phantom de Rolls-Royce). Son prix demeure un secret d’Etat et seuls 100 exemplaire­s seront produits, ce qui correspond peu ou prou au nombre de milliardai­res russes.

«En Russie, les grands magasins constituen­t le principal canal de distributi­on des produits de luxe» DELOITTE

 ?? (YURI KOCHETKOV/EPA) ?? Le Kremlin veut que la consommati­on de luxe s’oriente sur des produits made in Russia, comme la nouvelle limousine Aurus Senat.
(YURI KOCHETKOV/EPA) Le Kremlin veut que la consommati­on de luxe s’oriente sur des produits made in Russia, comme la nouvelle limousine Aurus Senat.

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