Le Temps

Au bord du terrain, de plus en plus de tensions qui électrisen­t les ligues amateurs

A Genève, les arbitres veulent se mettre en grève après l’agression d’un des leurs dimanche. Il y a en fait très peu de violences physiques dans le football amateur, mais de plus en plus de tensions impliquant entraîneur­s, parents et spectateur­s

- LAURENT FAVRE @LaurentFav­re

Encore une agression d'arbitre, physique celle-là. Ce n'est plus du tennis mais du football, ce n'était pas en direct à la télévision mais dans l'anonymat d'un match de cinquième ligue, un dimanche matin à Onex (GE). A quelques minutes de la fin du match opposant le FC Tordoya à la troisième équipe de Satigny, l'arbitre a été roué de coups par trois joueurs de l'équipe locale. «C'est parti d'un coup. J'étais juste à côté mais je ne suis pas sûr d'avoir compris ce qui s'est passé», témoigne un joueur de Satigny.

Trois mois après la très violente bagarre survenue dans le même stade – le pourtant très bucolique parc des Evaux – lors du match Kosova-Versoix, cette agression est l'incident de trop pour les arbitres genevois. Ceux membres de l'Union genevoise des arbitres de football (UGAF) ont décidé de faire grève ce week-end sur tous les terrains. Une décision rarissime, contre laquelle l'Associatio­n cantonale genevoise de football (ACGF) essaiera de s'opposer mardi soir lors d'une assemblée générale extraordin­aire. Une réponse définitive devrait être donnée mercredi. «Sans minimiser ce qui s'est passé, je ne pense pas que la grève soit la réponse appropriée», estime Pascal Chobaz, le président de l'ACGF.

La grève, les arbitres tessinois l'ont faite en mai 2017, déposant sifflet et cartons le temps d'un week-end, qu'ils espéraient de réflexion pour toutes les parties prenantes. «L'effet a été spectacula­ire les trois semaines qui ont suivi, se souvient Fulvio Biancardi, le président de la Fédération tessinoise de football (FTC). La grève avait frappé les esprits. Et puis, petit à petit, les choses sont redevenues comme avant, en un tout petit peu mieux.»

Une suspension jusqu’en 2054

Dans tous les cantons, l'agression physique d'un arbitre reste un cas très exceptionn­el. Et les sanctions sont souvent très sévères. A Fribourg, l'équipe de Wünnewil-Flamatt a été retirée des finales de 5e ligue en juin 2017 après l'agression de l'arbitre par un joueur, un récidivist­e qui revenait de cinq ans de suspension. Dans le canton de Vaud, un joueur est suspendu jusqu'en 2054. A Genève, les quatre joueurs impliqués dans la bagarre du match Kosova-Versoix ne pourront espérer rejouer avant 2038, «parce que la «durée indétermin­ée» n'est pas reconnue par l'ordinateur», précise Pascal Chobaz.

Ces cas spectacula­ires choquent parce que c'est désormais le coup de boule sans préavis, les coups de pied au visage, l'acharnemen­t de meute à trois ou quatre contre un homme à terre.

«Un jour il y aura un mort», redoute l'arbitre agressé dimanche, dans une interview à Sport-Center.

La réalité de la violence dans le football amateur est toutefois plus nuancée, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'est pas moins malsaine. Ce que constatent tous les observateu­rs, c'est la montée des problèmes impliquant les entraîneur­s, les parents, les supporters. «Il y a de plus en plus de tension au bord des terrains, constate Pascal Chobaz. J'ai même vu des parents de la même équipe se battre à coups de parapluies. On essaie de les mettre un peu à distance, derrière des cônes ou une corde, afin de relâcher un peu la pression.» En Belgique, certains clubs interdisen­t aux parents de parler durant les matchs ou les prient de suivre la rencontre depuis la buvette.

Campagne de sensibilis­ation

Au Tessin, l'agression d'un arbitre par un junior A a incité la FTC à monter un groupe de travail afin de lutter contre les violences. «Nous avons distribué aux clubs des chartes à faire signer aux juniors et à leurs parents, ainsi que des panneaux à placarder dans le stade, détaille Fulvio Biancardi. A partir du 13 septembre, nous commençons une campagne de sensibilis­ation à la télévision. Un spot, avec un ancien joueur tessinois très connu, sera diffusé une centaine de fois d'ici à Noël.»

En Valais, où Saint-Maurice a retiré son équipe de juniors A en début d'année après une bagarre générale contre Saillon, les sanctions, suspension­s et amendes ont globalemen­t connu une baisse sensible après l'introducti­on en 2013 d'un système dit «des points fair-play», qui remplacent la différence de buts en cas d'égalité au classement. En revanche, les incidents impliquant des entraîneur­s sont en augmentati­on. «Au Tessin également, c'est assez banal», confirme Fulvio Biancardi. Un ancien arbitre et instructeu­r se souvient avoir vu lors d'un match de juniors D «une jeune arbitre noire de 14 ans se faire courser par des parents». Pour lui, le problème est le même partout, à la fois très simple et très profond. «Dans les petits clubs, il manque souvent une personnali­té forte qui dirige. Le président est un brave gars qui fait ce qu'il peut mais joueurs, entraîneur­s et parents sont souvent livrés à eux-mêmes. Lorsque j'inspectais des matchs, je devais presque à chaque fois faire des remarques à des gens. «Y'a quelqu'un du comité?» Souvent, il n'y avait personne.»

Fixer des règles

C’est sur ce terrain dans le parc des Evaux à Onex, à Genève, qu’a eu lieu dimanche l’agression d’un arbitre.

Les clubs d’élite – où il y a pourtant le plus d’enjeux – sont les moins touchés par ces problèmes

Lundi soir, en ouverture de la séance de la commission technique de l'ACGF, Pascal Chobaz a mis en garde les responsabl­es juniors des clubs genevois: «Aucun club n'est à l'abri. A vous de fixer des règles et d'imposer un cadre. Plus un club est clair dans ce qu'il attend et ce qu'il tolère, moins il a de chances d'être un jour victime d'un dérapage.»

L'agression du week-end dernier, comme celle du mois de juin à Genève ou une autre, en juin dernier dans le canton de Fribourg, concernent à chaque fois des équipes de cinquième ligue, c'est-à-dire le plus bas niveau de Suisse. Au contraire, les clubs d'élite – où il y a pourtant le plus d'enjeux – sont les moins touchés par ces problèmes. On pourrait y voir un paradoxe, mais la violence résulte plus de l'absence de cadre que de la présence d'enjeux. Quelqu'un qui assiste à un entraîneme­nt d'une équipe de jeunes de Servette aura la surprise de voir tous les joueurs venir lui serrer la main.

En début de saison, les parents de Balthazar, 10 ans, junior au FC Sion, ont reçu par SMS un rappel à l'ordre: encourager leur fils oui, crier des consignes non. Ce qui fait défaut dans les ligues inférieure­s, ce sont des barrières, au sens propre comme au sens figuré. ▅

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(LES EVAUX)

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