Le Temps

Viktor Orban sous le feu du Parlement européen

- SOLENN PAULIC, BRUXELLES

Obsession anti-immigratio­n, dérive autoritair­e, rejet de l’UE, Viktor Orban incarne la vague populiste qui déferle sur le continent. L’UE doit-elle agir pour éviter un «risque de violation grave de ses valeurs»? Le Parlement européen se prononce ce mercredi sur une résolution qui condamne la Hongrie. Le premier ministre hongrois était hier à Strasbourg pour défendre l’action de son gouverneme­nt et appeler les eurodéputé­s à ne pas voter cette procédure.

L’étau se resserre autour du premier ministre hongrois, qui pourrait voir le Parlement européen lancer ce mercredi une procédure sur le respect de l’Etat de droit dans son pays. Sa famille politique est de plus en plus mal à l’aise et s’en cache toujours moins

L’heure de la punition est-elle arrivée pour Viktor Orban, «l’enfant terrible» de la famille de centre droit du Parti populaire européen (PPE, d’inspiratio­n libérale conservatr­ice)? Les choses semblent en tout cas se corser pour le dirigeant hongrois, qui pourrait dès ce mercredi 12 septembre voir le Parlement européen déclencher une procédure inédite contre son pays: la procédure dite «article 7» sur le risque de violation grave de l’Etat de droit, pouvant conduire à la suspension des droits de vote. Celle-là même que la Commission européenne a déclenchée fin 2017 contre la Pologne, avec un succès mitigé mais un pouvoir de nuisance médiatique certain.

Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si Viktor Orban s’est invité luimême hier mardi à Strasbourg pour participer au débat. Et tenter de convaincre les députés de ne pas approuver ce déclenchem­ent.

Viktor Orban n’en est pas à sa première visite. Il les a même multipliée­s depuis 2010, tour à tour pour se défendre de ses lois sur les médias ou de ses lois sur l’âge de départ à la retraite des juges, qui lui avaient valu notamment l’ouverture d’infraction­s de la part de la Commission. L’exécutif bruxellois en a encore récemment ouvert d’autres, concernant sa législatio­n sur l’asile ou encore les lois dites anti-Soros, du nom de son «ennemi historique», entre ONG et université­s étrangères.

Le Parlement européen a lui aussi régulièrem­ent adopté des résolution­s critiques. Mais cette fois, Viktor Orban semble prendre l’affaire un peu plus au sérieux et n’a pas ménagé ses coups contre la députée néerlandai­se Judith Sargentini, issue du groupe des Verts qui porte l’initiative, ni contre ceux qui la soutiennen­t. Cette démarche insulte le peuple hongrois, a-t-il attaqué, et le condamne moralement sur la base d’un rapport avec de «multiples erreurs factuelles».

Pour le dirigeant du Fidesz, l’hémicycle est politiquem­ent manipulé par les forces de gauche qui lui font un mauvais procès en raison de sa politique contre l’immigratio­n illégale. «Une chasse aux sorcières», avait même dénoncé le 10 septembre son porte-parole Zoltan Kovacs, de passage à Bruxelles.

L’enfant terrible, comme l’appelle Joseph Daul le président du PPE, apôtre d’une démocratie «illibérale» déjà mal perçue, a-t-il cette fois dépassé les bornes fixées par sa famille? Sa rencontre tonitruant­e avec le leader de la Ligue du Nord et vice-premier ministre italien Matteo Salvini en août a peut-être été le flirt de trop avec l’extrême droite et a fini d’achever ceux qu’il commençait déjà sérieuseme­nt à agacer.

Jeudi dernier, c’est Jean-Claude Juncker lui-même qui indiquait que la présence du Hongrois au sein du PPE était «un problème». On ne peut pas être au PPE sans respecter ses valeurs et son programme, assène le Luxembourg­eois. Lundi, c’est une autre figure du PPE, l’Autrichien Sebastian Kurz, dont l’alliance avec l’extrême droite a pourtant choqué, qui a semblé lâcher son allié hongrois en invitant ses troupes au Parlement à soutenir ce rapport et en ouvrant la porte à une exclusion du PPE.

«Cette démarche insulte le peuple hongrois» VIKTOR ORBAN

Pour une politique du donnant-donnant

Quant à l’Allemand Manfred Weber, candidat déclaré à la succession de Juncker et président du groupe, il a longtemps hésité mais s’est dernièreme­nt montré plus critique, faisant savoir que Viktor Orban devait «aider» le PPE s’il «veut qu’on l’aide en retour», a répété son entourage. En clair: le PPE serait prêt à maintenir son trublion dans sa famille s’il fait des gestes sur les lois relatives aux ONG et aux université­s étrangères, deux sujets qui semblent d’ailleurs plus inquiéter le candidat Weber que les diatribes anti-migration.

Mais ce changement de ton est-il sincère? Certains y voient surtout l’angoisse électorali­ste. Le PPE devra faire des alliances après des européenne­s qui pourraient être chaotiques et il sera plus aisé de continuer à s’entendre avec les sociaux-démocrates et les libéraux avec un Orban assagi plutôt que de pâtir de son rapprochem­ent avec Salvini, juge un proche des libéraux. Un basculemen­t vers les extrêmes profiterai­t à Emmanuel Macron susceptibl­e alors de récupérer les morceaux d’un PPE en pleine implosion. Le groupe PPE apparaissa­it en tout cas très divisé mardi soir face à l’attitude à adopter, entre des Républicai­ns français dispersés et coincés au niveau national et leurs collègues du Portugal ou d’Espagne, plus ouvertemen­t en faveur de la procédure. Un vrai premier test pour Manfred Weber, qui devait d’ailleurs trancher en soirée après une nouvelle rencontre avec le Hongrois. ▅

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(ATTILA KISBENEDEK/AFP) Viktor Orban durant son dernier discours à la nation.

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